Dans son dernier ouvrage, André Fourçans examine les grands évènements de notre histoire économique et sociale depuis une cinquantaine d’années. Il le fait d’une écriture vivante et claire, avec l’œil de l’économiste, mâtiné de ses diverses expériences dans « la vraie vie », qui s’efforce de comprendre comment nous en sommes arrivés où nous en sommes arrivés aujourd’hui. La narration qu’il nous présente cherche à décoder la pensée de nos « élites » ainsi que le style et le fonctionnement de nos institutions de même que les grands enjeux auxquels la France doit faire face. Fort opportunément, l’auteur ne manque pas de tirer les leçons de cette histoire susceptibles de nous aider à sortir de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Nous vous proposons ci-dessous quelques extraits des divers chapitres du livre avec leurs intitulés. Notre but n’est pas de présenter un résumé mais de permettre au lecteur de mieux percevoir et le fond et la forme de l’ouvrage d’André Fourçans.
Introduction
… À l’avenir, nos dirigeants sauront-ils distinguer, dans le fatras des décennies passées, les erreurs économiques et sociales à ne pas reproduire ? Oseront-ils dépoussiérer non seulement les idées désuètes que la France traîne depuis trop longtemps à ses semelles, mais aussi nos vieilles institutions trop souvent sclérosées et corporatistes ? Proposeront-ils, enfin, les réformes dont notre pays a besoin, ou bien resteront-ils englués dans la glaise du passé ?
Première partie : le temps des erreurs
1. L’erreur de la relance de Monsieur Chirac (1975) : Où l’on rencontre, déjà, un keynésianisme des plus orthodoxes[1]
Panique à bord ? À nouveau, que faire ? La solution préconisée par la majorité des observateurs (nos élites politiques, économiques, syndicales, journalistiques et universitaires) était toujours la même : relancez, relancez, relancez ! Autrement dit, ouvrez les vannes de la dépense publique, faites tomber les digues de la politique monétaire et notre économie redeviendra florissante. Bref, du keynésianisme ordinaire, qui, il faut bien le dire représentait à l’époque la vision économique dominante à travers le monde.
2. Le temps des gourous de l’anti-économie : Où l’on veut changer la vie, rien de moins
Loin d’être obsolète, en dépit des affirmations de ses adversaires, la science économique, avec ses innovations récentes, avait beaucoup à apporter à la compréhension des grandes questions du temps. Par exemple, elle incorporait, entre autres nouveautés, l’impact des institutions administratives et politiques, autrement dit « le marché politique » dans ses analyses des phénomènes économiques et sociaux, ainsi que le rôle des réglementations … Fondamentalement, il s’agissait de démontrer que la « nouvelle » science économique n’était pas une idéologie, mais consistait en une méthode s’appuyant sur des principes méthodologiques rigoureux et s’efforçant de respecter les faits. En tout cas, qu’elle n’était en rien la justification d’un quelconque pouvoir en place ou d’une classe en particulier.
3. Des « nouveaux philosophes » aux « nouveaux économistes » : Où l’on concocte le Manifeste des dix salopards contre le programme économique de la gauche
Les débats autour des nouveaux philosophes déblayèrent le terrain pour les nouveaux économistes. Le message de ces économistes allait, d’une certaine façon, dans le sens de celui de BHL et de A. Glucksmann. Comme eux, même s’ils abordaient le sujet sous un angle différent, ils dénonçaient l’emprise excessive de l’Etat sur l’économie et la société, et les effets pervers que cela engendrait. Bien sûr, la nouvelle économie ne se restreignait pas à cette dénonciation, … mais l’analyse de l’Etat et de ses politiques en était une composante centrale.
4. Pourquoi les enfants terribles de Mai 68 sont-ils devenus socialistes ? : Où l’on regrette qu’ils ne soient pas devenus libéraux
… si l’on va au cœur du cœur du libéralisme, qu’il soit économique ou politique, n’est-ce pas justement la liberté individuelle et l’épanouissement de la personne humaine qui en constituent le fondement ? Alors, pourquoi se sont-ils tournés en majorité vers le socialisme tous ces « camarades de lutte contre l’oppresseur étatique », socialisme qui certes parle beaucoup de liberté mais in fine se réfugie dans le renforcement de l’Etat et de ses interventions ?
Beaucoup de soixante-huitards … partageaient des tendances libertaires en contradiction avec leur croyance fréquente en un Etat en définitive seul capable de résoudre tous les grands problèmes de société ; et le marché (c’est quoi ?) avec sa recherche de profit à tout crin comment imaginer qu’il puisse un seul instant œuvrer en faveur « des vraies valeurs » humaines et sociales ? et l’économie (le capitalisme ?) ne démontre-t-elle pas chaque jour qu’elle n’est pas faite pour l’homme mais qu’au contraire l’homme doit se plier à ses forces occultes et nuisibles ? Bref, tout un fatras d’a priori qui forme davantage une « impression », une « sensation » qu’une charpente intellectuelle digne de ce nom.
5. Dans la chaleur de la flambée des prix : Où l’on démonte des « explications » extravagantes et éminemment politiques
Les débats étaient embués d’arrière-pensées politiques lourdes. La gauche, qui montait en puissance depuis quelques années, brandissait la hausse des prix comme une arme de destruction massive contre le pouvoir giscardien en place. La droite se défendait tant bien que mal et s’efforçait d’en faire un épouvantail contre les conceptions de l’opposition qui bien sûr ne ferait qu’aggraver la situation si par malheur elle accédait au pouvoir. Chacun puisait ce qui l’arrangeait dans son réservoir idéologique. Résultat, les « explications » du phénomène débouchaient trop souvent sur un certain n’importe quoi et une démagogie légèrement abrutissante.
6. La « révolution monétariste » contre le keynésianisme dominant : Où l’on soulève des enjeux politiques et économiques majeurs
Les dirigeants d’alors étaient friands de métaphores ferroviaires du style « stratégie de la locomotive », qui parfois se déclinait en « stratégie du convoi » selon lesquelles devait être mis en œuvre de toute urgence un programme coordonné de relance au plan international. Les monétaristes prenaient position au contraire pour une « stratégie de croissance anti-inflationniste » … Après plusieurs décennies de controverses, ce style de politique est davantage admis aujourd’hui … Quoi que la « grande crise financière » du début des années 2000 puis la crise sanitaire aient réveillé pas mal d’instincts keynésiens exacerbés, non seulement chez les économistes mais aussi chez les décideurs politiques.
7. François Mitterrand sur la rampe de lancement avec son « super keynésianisme » (1981) : Où l’on s’avise que l’utopie économique est électoralement plus porteuse que l’austère sagesse
D’un point de vue électoral, les projets de F. Mitterrand … étaient sans doute davantage porteurs que ceux de V. Giscard d’Estaing. Il faut le redire, les mesures de rigueur mises en place dès 1980 par Raymond Barre, fondées sur un programme progressif et demandant du temps pour en récolter les fruits mûrs, et qui constituaient le fond de la politique proposée par le « citoyen candidat » Giscard, comme il se désignait lui-même, éclipsant ainsi sa fonction présidentielle, n’étaient pas de nature à enthousiasmer les foules et à faire rêver les électeurs. L’élection de François Mitterrand a démontré que l’utopie économique avait été plus puissante que la sagesse austère à la Barre-Giscard.
8. La NEP flamboyante du gouvernement socialiste : Où l’on nous prédit un avenir radieux
Pour nous rassurer, le nouveau locataire de l’Élysée prit auprès de lui Jacques Attali et son cabas plein à ras bord de recettes « antiéconomiques » particulièrement adaptées à ce joli mois de mai qui allait « nous faire passer de l’ombre à la lumière ». … Le nouveau pouvoir s’en donna à cœur joie, … on allait voir ce qu’on allait voir, fini « le pouvoir de l’argent » et de tous ces rapaces, le marché allait être mis au pas, l’État socialiste (et un peu communiste puisqu’il y avait quatre ministres de cette obédience au gouvernement) nous sortira de l’ornière creusée par Raymond Barre et ses politiques archaïques.
10. Une planification et un dirigisme industriel éculés : Où l’on se prélasse dans le ronron de nos clercs
Pour les esprits imprégnés de vision administrative de la société, la planification est rassurante. Elle apporte une façade d’organisation scientifique et rationnelle de la communauté, un sentiment de conduite ferme de l’économie et les moyens, du moins en apparence, d’assurer une direction à la société.
11. Le Sphinx apaisé et recentré garde son siège (1988-1995) : Où l’on explique que la social-démocratie n’est pas adaptée au monde moderne
On en revient à cette question du compromis acceptable et nécessaire en politique pour se faire élire, sans pour cela y perdre son âme. La réponse n’est pas facile. Faut-il demeurer d’une droiture exemplaire, chevalier blanc de l’absolu et rester à terre ? Ou bien accepter le compromis, sans tomber dans la compromission si vous êtes un homme d’État digne de ce nom, s’adapter aux circonstances quitte à gommer certaines aspérités idéologiques, ruser et « travestir » un tant soit peu sa vérité pour réussir son entreprise électorale ? Tout est une question de mesure. On peut quand même regretter que « The best president France never had », dixit le prestigieux magazine anglo-saxon, The Economist, n’ait pas eu sa chance à la tête de l’État français.
12. Jacques Chirac au firmament (1995-2002) : Où l’on passe de l’échec du cavalier « droit dans ses bottes » à celui de « l’austère qui se marre »
Il est intéressant de noter combien les discussions d’alors sur la finance, même si elles se situaient dans un contexte différent, soulevaient à peu près les mêmes interrogations que celles d’aujourd’hui. Peut-on expliquer les crises financières par un excès de libéralisme ? L’économie de plus en plus « financiarisée » ne joue-t-elle pas contre l’économie réelle ? Est- ce que la crise financière n’aurait pas pu être évitée si la finance avait été davantage ligotée ? Certains vont même jusqu’à faire porter la responsabilité de la crise sanitaire sur les épaules du « méchant libéralisme ».
13. Le « succès » des idées de Jean-Marie Le Pen, en attendant celles de sa fille : Où l’on s’interroge sur les idées économiques du Front National
… Jean-Marie Le Pen a voulu se donner des airs de « Reagan français » … Il affirmait déjà haut et fort ses positions antieuropéennes et protectionnistes. … « Libéral, mais seulement à l’intérieur du pays », m’avait glissé à l’oreille un des leaders du Front National … Quelle illusion ! Comme si le libéralisme interne pouvait exister refermé sur lui-même.
Adieu les traces de libéralisme du père, bonjour à l’interventionnisme de son héritière … Les propositions économiques ont peu d’importance en soi, ce qui compte c’est leur impact électoral sur les salariés et retraités aux faibles moyens, les artisans, les agriculteurs, les chômeurs et autres « laissés sur le bord de la route » très sceptiques vis-à-vis des partis traditionnels, qu’ils soient de gauche ou de droite.
14. Le « roi fainéant » reste sur son char à bœufs présidentiel (2002- 2007) : Où l’on confirme que la France reste la France
On aurait pu le croire davantage libéral notre Premier Ministre. Mais bon, ne pas sous-estimer la difficulté de la tâche, notamment avec un chef à l’Élysée bien connu pour la stabilité de ses conceptions économiques. Un échantillon : — « Je suis convaincu que le libéralisme est voué au même échec que le communisme. L’un et l’autre sont des perversions de la pensée humaine ». Rien de moins. — Dans les temps plus anciens des années 1980 il annonçait : « Je dirai que le problème majeur du libéralisme en France est de n’avoir jamais été mis en œuvre ». Un grand bravo à l’acrobate.
15 (et 25). François Hollande, Saison 1 : la poursuite des vieilles lunes (2012- 2014) : Où l’on flaire bon la « franchouillardise » avec des impôts florissant. François Hollande, Saison 2 : des mesures contradictoires – ou le grand bidouillage (2014-2017) : Où l’on vérifie qu’étato-keynésianisme et social-libéralisme ne font pas bon ménage
Là aussi, l’intention était bonne et les mesures initialement proposées vraiment dignes d’intérêt. Et puis, et puis, que voulez-vous qu’elle fît seule contre tous, qu’elle mourût. La machine bien huilée à bloquer la réforme a fonctionné à merveille. Résultat des courses, au sens figuré comme au sens propre tant les manifestations pédestres organisées par les syndicats furent intenses, la montagne a accouché d’une souri. Adieu les propositions essentielles de flexisécurité à la française, bonjour au retour du statu quo, ou presque.
Deuxième Partie : Des tentatives méritoires mais trop timides et inabouties
16. Raymond Barre aux commandes (1976-1981) : Où l’on touche du doigt les dilemmes de l’économiste en politique
Donc M. Barre a oscillé, volontairement ou non, entre ces deux options tout en gardant le cap du « père la rigueur » qu’il affectionnait de jouer. In fine, s’il orienta la politique macroéconomique de la France dans la bonne direction, sa mise en musique fut un peu moins accomplie et quelque peu chaotique. Mais il garda le cap de la raison économique en matière de grands équilibres. Dommage qu’on n’ait pas poursuivi sur la même voie dans les décennies qui suivirent, on ne serait pas où l’on en est aujourd’hui…
17. Un monétarisme de gauche (1983-1986) ? : Où l’on enquête pour savoir jusqu’où Jacques Delors va marcher dans les pas de Raymond Barre
Le résultat politique de ces pérégrinations gouvernementales était on ne peut plus prévisible, son échec inéluctable. Et ceci quoi que fasse, ou presque, le grand argentier Delors et le nouveau « plus jeune Premier Ministre donné à la France » (Laurent Fabius) en juillet 1984, 37 ans, une 2 Chevaux pour se rendre à Matignon et des pantoufles pour aller chercher son pain le matin (je n’invente rien, certains doivent s’en souvenir, car bien sûr une nuée de caméras accompagnait ces pantalonnades destinées « à faire peuple »). Mais quels que soient les hommes, le pouvoir en place était pris à son propre piège tant la situation économique tombait en quenouille.
18. Quand le libéralisme avait le vent en poupe : Où l’on explicite pourquoi le libéralisme moderne n’est pas ce que l’on croit
… l’Etat libéral a un rôle central à jouer dans nos sociétés, mais un Etat aux fonctions clairement définies et limitées. En ce qui concerne l’économie, son action n’a pas pour seul objectif l’intérêt des entreprises, ou pis, celui des riches, comme certains l’en accusent, ou comme d’aucuns qui sont supposés le défendre le caricaturent …. Une autre caractéristique institutionnelle fondamentale : l’indispensable dispersion des pouvoirs … Est-ce vraiment faire preuve d’un instinct de « libéral sauvage » que de la juger insuffisante, cette dispersion, tant pour hier que pour aujourd’hui, dans notre Hexagone quelque peu sclérosé ?
19. Un programme de gouvernement libéral pour la première cohabitation (1986-1988) : On le sent, le vent a tourné, Chirac aussi.
Elle était le fruit du travail d’une commission d’une dizaine de personnes réunissant à parité des représentants de l’UDF et du RPR, et était présidée par un jeune loup qui commençait à être connu et qui flottait dans le sillage de Jacques Chirac : un certain Alain Juppé. Il dirigeait les travaux de main de maître, faisant preuve d’une parfaite connaissance des dossiers et d’un esprit structuré comme un jardin à la française… Et, aussi incroyable que ceci puisse paraître, il savait aussi faire preuve d’humour ! Mais il respirait sans doute un peu trop la certitude de sa supériorité intellectuelle, aussi justifiée fut-elle.
20. Du « ni-ni » au libéral-socialisme – à moins que ce ne soit le social-libéralisme : Où l’on exprime de la sympathie pour Pierre Bérégovoy et ses réformes
Dans le contexte du moment, surtout dans celui de son milieu socialiste, il fut, lâchons le mot, un libéral d’assez bonne facture. Il entama l’ouverture et la libération des marchés financiers, libéralisa les investissements étrangers, mis en place des institutions propices à favoriser la concurrence, réduisit l’impôt sur les sociétés et modernisa diverses structures administratives financières. La réussite de ces réformes contribua sans doute à le propulser Premier Ministre en avril 1992, après la première femme à ce poste, Edith Cresson, qui explosa en vol au bout d’un an. Malheureusement cela finira mal pour lui puisqu’il perdit les élections législatives de mars 1993 et, quand même un tantinet plus grave, puisqu’il se suicida le 1 er mai 1993.
21. Les tracas du ministre de l’Économie d’Edouard Balladur et le pouvoir de l’administration : Où l’on se retrouve dans l’enfer de Bercy
Pour … mieux cerner certaines mœurs bien de chez nous, notamment sur la puissance de l’administration, voici une anecdote issue du Parlement européen. Les candidats proposés par les États pour entrer au Directoire de la Banque centrale européenne doivent être ratifiés par le Parlement. Pour cela ils passent d’abord une audition auprès de la commission économique et monétaire du dit-parlement. Ce jour-là, c’est … Christian Noyer … qui est sur le grill… Un des parlementaires étrangers ne put s’empêcher de m’entreprendre. « Comment se fait-il que vous, français, proposiez toujours des technocrates pour ce type de fonction alors que pour tous les autres pays ce sont des professeurs d’économie … ? » « L’exception française » n’existe pas qu’en matière culturelle.
22. Les propositions attrapent tout de « battling Jacques » (1995) : Où l’on compare le trop sérieux « Raymond la Science » au non moins trop sérieux « Grand Ballamouchi. »
E. Balladur et R. Barre étaient deux personnalités remarquables, construites de forces et de faiblesses comparables. Tous les deux possédaient la hauteur de vue indispensable à l’homme d’État, les facultés d’analyse et de synthèse non moins indispensables, et une vision solide et structurée des mécanismes économiques et sociaux. Mais tous les deux affichaient un peu trop la conscience de leur supériorité et leur mépris pour la classe politique. À ces faiblesses, monsieur Balladur rajoutait une certaine suffisance qui entrait moins dans la nature de monsieur Barre. Si elle existait chez le professeur elle était davantage fondée sur l’intellect que sur un sentiment d’appartenance à une élite sociale, oserais-je dire « ancienne France un peu insolente » ?
23. Dans les rouages de la machine qui usina l’euro – et quelques mea culpa : Où l’on confirme que la politique a ses raisons que la raison économique ne connaît pas
En quoi nous sommes-nous trompés, nous brillants économistes, technocrates efficaces et politiques aguerris qui imaginions que l’Union économique et monétaire ne subirait jamais de tels assauts ? Nous n’avions pas prévu, ou avions mal évalué, trois choses. Premièrement, que le Pacte de stabilité et de croissance ne serait pas respecté, on peut même dire serait bafoué par notamment les gouvernements français et allemand …. Deuxièmement, qu’une nation irait jusqu’à trafiquer ses comptes (la Grèce). Troisièmement qu’on avait mis trop d’espoirs dans la discipline qu’aurait pu imposer le marché.
24. La rupture annoncée mais vite avortée de Nicolas Sarkozy (2007- 2012) : Où l’on trouve de bonnes intentions balayées par la crise pour finir par des recettes qui sentent bon le terroir hexagonal
Il fallut d’urgence sauver les banques. Sans porter de jugement moral sur le comportement des banquiers, il y aurait beaucoup à dire, cette politique était indispensable pour éviter la chute du système bancaire avec toutes les conséquences dramatiques qui en auraient découlées. La crise de 1929 nous aurait peut-être paru bien gentille … Ouf, nous sommes passés près de la catastrophe.
Troisième Partie : Les enjeux d’aujourd’hui et des réformes pour demain
27. De la méchante mondialisation au patriotisme économique_: Où l’on débusque ignorance et démagogie à tous les étage
… ce n’est pas parce que les économistes ont raison que les décideurs et l’opinion en général en sont convaincus et applaudissent avec enthousiasme. Le rejet de la mondialisation, et le populisme qu’il génère chez nombre de nos observateurs et politiques, n’est-il pas associé à ce sentiment que le « petit peuple » subit les conséquences négatives de l’ouverture internationale alors que les élites « s’en mettent plein les poches » ?
… Traine un peu partout un autre poncif qui a la vie dure et semble toucher non seulement les élites mais aussi l’opinion publique. C’est celui relatif au « patriotisme économique », avec les belles envolées lyriques qu’il engendre. Il faut « produire en France ». Il faut « acheter français ». Ou tout autre vieille lune du genre dont sont friands nos politiques. Tout juste si l’on ne nous exhorte pas à creuser dare-dare les tranchées et à fixer les baïonnettes aux fusils.
28. L’Europe, cette inconnue : Où l’on s’aperçoit qu’elle est un bon contrepoids au corporatisme et au protectionnisme, mais des réformes sont nécessaires
… Simone Veil … avait commencé à manifester son impatience en se tortillant sur sa chaise et en jetant des regards de laser à découper l’orateur. Elle ne résista plus et glissa à l’oreille de son accompagnateur : « C’est insupportable, comment peut-on continuer à écouter des inepties pareilles ? Partons si vous le voulez bien ou je vais exploser ! » Assis au premier rang, le couple de rebelles se leva et traversa la salle pendant que Madame Cresson continuait de pérorer, Simone avec sa mine renfrognée des grands jours, le député-économiste qui la suivait s’efforçant de garder son sérieux car il riait sous cape de la situation.
… Comme toute construction humaine, l’intégration européenne a des avantages et des inconvénients. Tant sur le plan politique qu’économique. Mais quelle que soit la forme et la politique de l’Union européenne, les lois économiques demeurent. D’aucuns ont un peu trop tendance à l’oublier.
29. L’impôt, la réforme fiscale et ces fainéants de Français : Où l’on examine les liens entre la fiscalité et l’efficacité économique
… le débat sur la fiscalité, aujourd’hui comme hier, et probablement comme demain, est la plupart du temps davantage centré sur la réduction des inégalités et ce qu’il est convenu d’appeler la « justice sociale » que sur l’efficacité économique. C’est alors la course au plus généreux, au plus juste, au plus vertueux pour combattre les différences de revenus (et de patrimoine). Les considérations de dynamique économique passent au second rang,
… Il semblerait que la France … ait atteint voire dépassé ce seuil fatidique où une hausse du taux de prélèvement conduirait à une baisse des recettes fiscales et sociales. Soit le seuil où « l’impôt tue l’impôt ». En tout cas, le seuil où le niveau de la fiscalité et des cotisations sociales induit des modifications de comportement qui nuisent à l’activité économique.
30. La justice sociale et la redistribution des revenus : Où l’on montre qu’on ne combat pas les inégalités en caricaturant la réalité
Le vrai problème n’est-il pas celui des plus démunis plutôt que celui des inégalités ? … N’est-ce pas sur cette situation de pauvreté que devrait porter le combat principal pour la « justice sociale », et non in fine, dans certaines limites bien sûr, sur les inégalités proprement dites ? … ce qui soulève de vraies questions sur l’égalité des chances et sur la mobilité sociale. Sans oublier sur l’emploi.
… Il est plus facile d’être « généreux » de façon visible au premier coup d’œil que d’aller au fond des choses en évaluant les conséquences non-visibles. La quête d’une vraie justice sociale ne doit pas reposer sur des raisonnements comptables de court terme mais sur une analyse des effets induits des mesures prises sur les comportements et sur l’évolution économique et sociale globale.
31. Ces salauds de riches et l’avenir du capitalisme : Où l’on conteste les thèses de Thomas Piketty
Au centre du discours du professeur parisien se trouve l’idée que la montée de la concentration du patrimoine est inéluctable … Cette conception, aussi bien que les extrapolations dans le futur long faites par Piketty à cet égard, sont rejetées par une large frange de la communauté des économistes.
… N’y a-t-il pas d’autres politiques aux conséquences moins perverses qu’un accroissement de la fiscalité … pour réduire sur la durée les inégalités de patrimoine (ou de revenu) injustifiées : lutte contre les rentes et positions dominantes par la concurrence ; politiques pour « débloquer » le marché du travail et favoriser l’embauche ; réformes de la gouvernance des grandes entreprises pour lutter contre les rentes et les rigidités sociales ; mesures en faveur de l’égalité des chances, de l’éducation et de la formation ; aides clairement ciblées sur les plus défavorisés ; ou, plus radical, impôt négatif ou revenu minimal universel ; et d’autres encore ?
32. La bonne économie du changement climatique : Où l’on convient qu’il ne faut pas faire n’importe quoi ni n’importe comment
Ces modèles [des économistes] permettent … d’évaluer le coût économique du réchauffement. Selon les estimations, une hausse de 2,5°C impliquerait une perte, en moyenne selon les modèles, de 1,3% du revenu de chacun… En termes plus parlant, un siècle de changement climatique entrainerait une perte de bien être correspondant à une année de croissance mondiale. Est-ce peu, est-ce beaucoup ? À chacun son interprétation.
… il faut agir mais avec doigté et intelligence. Ni trop vite comme le voudrait maints écolos plus verts que verts, et maints politiques voulant montrer qu’ils veulent « sauver la planète » et donc qu’ils vont prendre virilement le problème à bras le corps ; ni trop lentement car les coûts et les risques augmenteraient au fur et à mesure du temps. Et surtout qu’il ne faut pas faire n’importe quoi ni le faire n’importe comment.
33. La « croissance verte » pour créer des emplois ? : Où l’on va à l’encontre des idées reçues sur les limites supposées à la croissance
Nos Cassandres ont une vision trop étroite du fonctionnement sociétal. Ils négligent le rôle joué par les variations de prix qui conduisent à toutes sortes d’ajustements dans les consommations, à des substitutions diverses et variées entre matériaux et produits utilisés, à des innovations dans leur extraction et leur production et dans les technologies qui leur sont associées, à de nouvelles découvertes induites, et d’autres choses, qui font que l’idée d’épuisement des ressources naturelles par rapport à nos besoins est moins pertinente qu’on ne veut bien le dire.
Les écologistes vertueux, et bien des politiques à la remorque, cherchent à imposer, à grand renfort de règlementations, d’interventions directes et d’autres mesures bureaucratiques leur conceptions irréfutables et indiscutables, forcément, en se fichant comme de leur première brindille des conséquences collatérales et des arbitrages indispensables dans un monde où les ressources sont limitées.
34. Haro sur la Banque Centrale Européenne ? : Où l’on comprend que la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a
… le président de la Banque de Frankfort ne peut pas toujours dormir sur ses lauriers et vivre avec la sérénité du Bouddha. Et heureusement. Son impact sur nos petites vies est trop important pour qu’il soit laissé en lévitation au-dessus du commun des mortels. S’il est bon qu’il soit indépendant, au sens de ne pas avoir à céder aux pressions politiques et aux cycles électoraux dans ses choix et décisions, il doit rendre compte de sa politique, et s’expliquer, c’est la moindre des choses dans une société démocratique.
… avant d’accuser la Banque européenne de nos maux, que nos dirigeants prennent leurs responsabilités en matière de budget, de déficits, et donc d’endettement et de fiscalité. Et en matière de réformes structurelles nécessaires à une économie moderne. C’est sans doute le meilleur moyen de redonner à la politique monétaire tout son rôle.
35. Un syndicalisme et un dialogue social de grand papa : Où l’on constate que le smic est un bon moyen pour créer du chômage
… comme les syndicalistes sont une des courroies de transmission et de perpétuation du corporatisme bien de chez nous, souvent en accord implicite ou explicite avec les employeurs et leurs organisations protectrices de la concurrence, rien de surprenant à ce que notre société reste « bloquée », recroquevillée sur la soi-disant défense des travailleurs et de nos entreprises contre les « forces destructrices et déloyales des marchés ».
… elle est le fruit d’un vieux fantasme français qui consiste à croire qu’on peut résoudre nos problèmes économiques et sociaux en mettant les partenaires sociaux et la société civile, comme on dit, dans une même assemblée pour que tout ce gentil monde dialogue et débouche sur un consensus d’harmonie sociale et de bonheur pour tous ! Oui, il relève de cette idée de « société fermée » selon lequel patrons, ouvriers, cadres, consommateurs et tout citoyen honnête s’entendraient comme larrons en foire si seulement ils discutaient entre eux pour comprendre les différents points de vue et pouvoir ainsi, enfin, agir dans l’intérêt de tous et de chacun.
36. Forces et faiblesses de la démocratie d’assemblée : Où l’on découvre la superficialité des débats économiques
… Le rendez-vous était fixé à 11 h 30. À 11 h 45 l’orateur n’était pas arrivé. À midi, on l’attendait toujours. Le Président de la commission annonça à plusieurs reprises qu’il n’avait aucune nouvelle. Fallait-il continuer d’attendre ? On le fit … Aux alentours de 12 h 45 arrive finalement le ponctuel ministre [D. Strauss Kahn]. Il monte à la tribune et commence à discourir. Pas un mot d’explication sur son retard. Pas un mot d’excuse. Pas un soupçon de gêne. Salle abasourdie. Parlementaires choqués … Parfait pour gommer l’image « d’arrogance française » déjà bien ancrée chez nos partenaires. Quand on se croit tout permis, il n’y a plus de limite. Au fait, où était-il ?
… Il ne faut pas croire qu’un député sait ce qu’il vote, du moins la plupart du temps. Ceci est physiquement et intellectuellement impossible… Dans ces circonstances, la légitimité même du parlementarisme n’est-elle pas sapée à la base ?
37. Les intérêts particuliers contre l’intérêt général ? : Où l’on craint que la politique ne soit entre les mains des lobbys
Lorsque, au parlement européen, les lobbyistes britanniques (ils y sont toujours même si la Grande Bretagne a quitté l’Union européenne) veulent faire avancer leurs petites affaires … ils … proposent des amendements écrits en bonne et due forme, pas la peine d’imposer un travail supplémentaire au pauvre élu débordé. Les Français, eux, vous déroulent un discours grandiloquent sur l’intérêt général, sur celui de la France et de son peuple, sur l’emploi et la croissance, pour vous persuader de l’importance majeure de leurs demandes à adopter d’urgence au risque d’une catastrophe nationale imminente.
38. La réforme impossible ? : Où l’on se demande bien comment font les autres
… oui, la réforme est possible. Mais pas n’importe quand ni n’importe comment. Un certain nombre de conditions doivent être satisfaites pour qu’elle réussisse. Et quand on parle de la France où « la tyrannie du statu quo » est on ne peut plus puissante, mieux vaut avoir une stratégie bien élaborée si l’on veut réussir ce treizième travail d’Hercule. Pas sûr que nos politiques en soient vraiment conscients.
39 (alias 26). Jupiter-Macron et le « Nouveau Monde » : Où l’on approuve diverses mesures tout en regrettant l’absence de réforme de l’État
… la crise du Covid a très probablement épargné nos politiques-observateurs-syndicalistes-médias-économistes-et tutti quanti de beaux marathons verbaux et … nos rues, ruelles et boulevards de défilés colorés, d’incendies en tous genres et de casses on ne peut plus revigorants pour nos black bocs et leurs amis ! Pas de crainte, tout cela reviendra car il faudra bien la faire, d’une façon ou d’une autre, cette réforme.
Pas besoin de pérorer, si la crise sanitaire a largement plombée nos finances publiques, même si c’était pour la bonne cause, nos dépenses et notre endettement atteignaient déjà des sommets avant la crise. Quels que soient nos dirigeants politiques dans le futur il faudra qu’ils s’attaquent sérieusement à « la maitrise » de ces dépenses, selon l’euphémisme employé par les timides …
40. Les intellectuels et la politique : Où l’on note que les intellectuels [les économistes] ont un rôle important à jouer
L’homme politique recherche le pouvoir, il veut le conquérir ou le garder, et ce en toute légitimité. Tant qu’on ne dépasse pas certaines bornes (« quand on dépasse les bornes, il n’y a plus de limite », Georges Pompidou, je crois), rien à redire à cela, c’est le jeu normal de la démocratie, avec ses avantages et ses inconvénients. La recherche de « la vérité » est seule l’objet des obsessions du professeur, comme il se doit. Le politique défend une cause, le scientifique social veut comprendre le monde, aussi objectivement que possible. Oui, le risque de contradictions existe, nul besoin d’insister.
Conclusion : Une stratégie pour la France … Il est temps que nos dirigeants et nos élites toujours éclairées apprennent de leurs erreurs et bévues accumulées depuis une cinquantaine d’années. Et qu’ils admettent enfin que l’économie, au sens de la connaissance économique, existe, que ses leçons et implications, même si elles n’englobent pas l’ensemble des connaissances et considérations, et qu’elles ne sont pas parfaites, se doivent d’être un peu plus intégrées dans leurs raisonnements et leurs politiques et non pas un peu moins comme d’aucuns le préconisent en invoquant des raisons vaseuses, obscurantistes et démagogiques hors sol du « tout politique ».
[1] Les numéros de section renvoient au chapitre du même numéro dans l’ouvrage.