Dans l’imaginaire collectif des élites politiques, les électeurs punissent les gouvernements qui mettent en œuvre des politiques d’austérité (Alesina et al. 2021[1]). Les études empiriques qui se penchent sur cette croyance ne constatent pas, cependant, que les gouvernements ayany choisi l’austérité perdent les élections (Brender et Drazen 2008[2], Alesina et al. 2021).

L’austérité consiste à réduire les déficits publics en baissant les dépenses publiques ou en augmentant les impôts. Elle est souvent justifiée par l’insoutenabilité de la dette publique.

La dette est soutenable lorsque l’emprunteur est en mesure de rembourser sa dette sans mettre en péril sa situation financière de long terme. Plusieurs critères définissent une dette soutenable : la capacité de remboursement, la durée du remboursement, le coût de la dette rapporté au revenu de l’emprunteur, et la stabilité de ses revenus.

1) La capacité de remboursement de l’emprunteur dépend de ses dépenses contraintes et du montant de ses revenus. Pour l’État les dépenses sont contraintes par les attentes de sa clientèle politique, c’est-à-dire, des électeurs organisés en groupe de pression. Les recettes sont fiscales et non fiscales. L’inflation est favorable au montant des recettes, l’impôt étant assis sur les prix des biens et des services. La capacité fiscale d’un État détermine sa capacité de remboursement et la soutenabilité de sa dette.

2) La durée de remboursement est aussi une donnée importante. La dette doit être structurée de manière à permettre un remboursement échelonné sur une période réaliste. Une dette à court terme excessive peut-être difficile à rembourser, tandis qu’une dette à long terme peut-être plus gérable si les flux de trésorerie sont insuffisants.

3) Le coût de la dette est le montant du capital à rembourser, le paiement des intérêts et les frais de gestion. La variable la plus discutée est le coût des intérêts. Il s’agit d’éviter que cette charge augmente plus vite que les revenus, c’est-à-dire, dans le cas des États, plus vite que les recettes fiscales qui sont elles-mêmes liées à la dynamique de la base fiscale. Le ratio dette publique sur PIB est l’équivalent au niveau de l’État du ratio d’endettement d’un ménage.

4) La stabilité est le dernier critère. Un acteur économique qui a des revenus certains, un contrat à durée indéterminé ou un fonctionnaire, a une capacité d’endettement supérieure à celle d’un acteur économique qui a un horizon incertain. La capacité fiscale de l’État est à nouveau une caractéristique importante de la soutenabilité d’une dette publique. Si le fisc est puissant et bien organisé, l’État peut rassurer l’emprunteur qu’il pourra rembourser sa dette. Cela signifie, toutefois, que l’instabilité économique, des taux de croissance négatifs, des guerres ou des crises sanitaires peuvent provoquer des difficultés pour les gouvernements. Elles rendent leurs sources de financement incertaines.

Ces quatre critères indiquent que la soutenabilité d’une dette dépend du contexte politique (capacité à baisser les dépenses si nécessaire ou à augmenter l’impôt), du contexte économique (récession) et de facteurs géopolitiques.

Affirmer que les politiques de réduction des dépenses publiques ou de hausse des impôts sont insoutenables politiquement revient finalement à dire que l’une des conditions de la soutenabilité de la dette n’est pas remplie. Une dette publique est soutenable si la capacité de remboursement de l’emprunteur est grande. L’État a une forte capacité de remboursement s’il peut à tout moment décider de réduire les dépenses ou d’augmenter l’impôt sans mettre en péril ses chances de réélection. A l’opposé, la dette publique devient insoutenable lorsque le gouvernement, pour des raisons électorales, refuse de réduire les dépenses ou d’augmenter les impôts, estimant que de telles décisions mettraient en péril ses chances de réélection et ouvriraient la voie à une opposition qui, elle, aurait à cœur de mettre en œuvre une politique qu’il juge contraire à l’intérêt général. La dette publique augmente alors d’autant plus fortement que la vie politique est polarisée et que le gouvernement craint l’arrivée au pouvoir de l’opposition.

Ce calcul politique repose, toutefois, sur une croyance :  l’austérité réduit les chances d’un succès électoral pour le gouvernement et augmente le risque de voir l’opposition accéder au pouvoir. C’est cette croyance qu’Alesina et al. (2021) cherchent à confronter aux faits. Leur travail montre qu’il n’est pas correct d’associer austérité et défaite électorale. Ils rappellent en introduction le résultat de Brender et Drazen (2008) : les gouvernements qui réduisent leurs déficits ne sont pas sanctionnés par l’électorat, ils sont même plutôt récompensés. La récompense n’est pas élevée, mais il ne s’agit pas d’une sanction.

Alesina et al. (2021) complètent ces travaux en introduisant une mesure de l’austérité, et en distinguant l’austérité par la baisse des dépenses de l’austérité par la hausse des impôts. Ils distinguent également l’austérité conduite par des gouvernements de droite de l’austérité conduite par des gouvernements de gauche (Tableau 1).

Tableau 1. L’effet différencié des politiques d’austérité selon l’idéologie du gouvernement et le type d’austérité

Type d’AustéritéBaisse des dépenses publiquesHausse des impôts
Idéologie du gouvernement
DroiteEffet positif sur la probabilité de réélectionEffet négatif très fort sur la probabilité de réélection
GaucheEffet négatif très fortEffet négatif modéré

La mesure de l’austérité pose deux questions. Est-ce que la baisse des déficits est la conséquence des choix budgétaires du gouvernement ? Est-ce qu’elle est seulement l’effet des fluctuations économiques ? Il n’est pas suffisant de prendre le ratio déficit public/PIB pour mesurer le degré d’austérité d’une politique économique. Le déficit budgétaire est, dit-on, partiellement exogène à l’état de l’économie. Il peut baisser avant les élections seulement parce que le taux de croissance mondial est fort. L’inverse est également vrai : un gouvernement peut engager une politique d’austérité et ne pas réussir à réduire ses déficits si les taux de croissance sont faibles ou négatifs. Pour éviter cette difficulté, Alesina et al. (2021) construisent une variable originale qui tient compte d’un certain nombre d’informations capables d’identifier l’existence d’un plan d’austérité.

Sur la base de cet indicateur original des politiques d’austérité, Alesina et al. (2021) proposent trois résultats que tous les partis politiques français pourraient méditer, et les partis de droite en particulier.

1) L’austérité par l’impôt est politiquement insoutenable. Elle augmente la probabilité de perdre les élections pour les partis et les gouvernements qui la choisissent.

2) L’austérité par la baisse des dépenses publiques accroît les chances de réélection d’un gouvernement de droite. Pour les partis de gauche et leurs gouvernements, le résultat est inversé (Tableau 1). Les électeurs de gauche sanctionnent les gouvernements de gauche qui pratiquent l’austérité. Ils les sanctionnent d’autant plus qu’ils ont choisi de rembourser la dette par la baisse des dépenses publiques. La gauche n’est pas dans une position qui lui permet de rembourser la dette publique. En conséquence, elle ne réunit pas les conditions de soutenabilité politique. C’est la raison pour laquelle il faut s’attendre à une forte augmentation des niveaux d’endettement lorsqu’un pays est géré durablement par les partis de gauche.

3) Les gouvernements qui ont les plus fortes majorités[3] sont les moins sanctionnés par leurs électeurs quand ils engagent des politiques d’austérité construites sur des baisses d’impôt.

Les gains électoraux[4] d’une politique d’austérité par la baisse des dépenses publiques sont, en moyenne, importants pour les partis de droite.

L’austérité par la baisse des dépenses publiques ne se termine donc pas inéluctablement « dans le sang et les larmes » contrairement à ce que répètent à l’envi les médias de gauche. C’est une fabuleuse opportunité pour les citoyens, car les conséquences d’une telle politique seront très probablement une croissance économique plus forte, un plus grand choix en matière de consommation et un désendettement qui est tout à la fois moral et efficace.


[1]    Alesina, A., G. Ciminelli, D. Furceri, and G. Saponaro 2021, “Austerity and Election,” IMF Working Paper, WP/21/121.

[2]    Brender, A. and A. Drazen 2008. “How do budget deficits and economic growth affect reelection prospects? Evidence from a large panel of countries,” American Economic Review, 98 (5), 2203-2220.

[3]    Les gouvernements forts ne craignent pas de perdre les élections malgré l’austérité. C’est l’inverse pour les gouvernements faibles. Ces derniers craignent le coût électoral des mesures d’austérité, fussent-elles minimes.

[4]    La mesure est la part des voix du parti de gouvernement ou de son leader entre deux élections.

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François Facchini

François Facchini est Professeur Agrégé des Universités en Sciences Économiques. Il est en poste à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et responsable du Programme Politiques Publiques du Centre d’Économie de la Sorbonne (CES). Il a récemment publié Les dépenses publiques en France, De Boeck Supérieur (2021).

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