Le propos de l’historien Stephen Davies a de quoi secouer : les risques d’une catastrophe majeure qui toucherait tous les habitants de la planète sont bien réels. Certes notre capacité à faire face à certains de ces risques est bien meilleure qu’elle ne l’a été par le passé grâce aux immenses progrès de la connaissance. Mais le progrès technologique est également source de risques nouveaux auxquels nous n’avons jamais été confrontés et qui nous trouveraient donc totalement inexpérimentés. Notre premier devoir est donc de faire preuve de lucidité. Pour reprendre une image utilisée par S.A.S. le Prince Michael de Liechtenstein lors de l’ouverture de la dernière Université d’été des libéraux, nous ne devons pas tenter de « cacher la crise sous le tapis », de nous voiler la face comme si nous pouvions continuer notre bonhomme de chemin sans rien changer. La crise elle-même ou la menace d’une crise, lorsque l’on sait y faire face intelligemment, doit nous faire grandir.

Penser et agir avec lucidité et intelligence c’est en particulier savoir tirer les leçons du passé. L’une de ces leçons, rappelle Stephen Davies, est que les sociétés polycentriques ont de meilleures chances de trouver des réponses aux problèmes qui se dressent devant elles que les sociétés autoritaires et centralisées. Autrement dit, la liberté est en règle générale notre premier et plus précieux atout :

« nous avons besoin d’une sorte de libéralisme radical différent du néolibéralisme d’entreprise prôné par des gens comme le World Economic Forum et différent du genre d’activisme gouvernemental ou de “gouvernance de projet” incarné par exemple par Mariana Mazzucato. L’humanité est actuellement confrontée à de nombreux défis […] mais nous devons être convaincus que c’est la liberté et des institutions et processus décentralisés et en réseau qui offrent le meilleur moyen de surmonter cela. » 

Penser et agir avec lucidité c’est aussi prendre soin de sa santé : mieux vaut être en bonne santé que malade lorsque la difficulté se présentera. Et pour cela il faut abandonner toutes ces politiques qui nous affaiblissent, creusant les déficits et accumulant les dettes sans même en informer les premiers concernés, les contribuables (Bob Lyddon). Assainir nos finances publiques en réduisant nos dépenses est une piste que de nombreux États ont empruntée et les gouvernements de droite qui ont engagé leurs concitoyens sur cette piste n’ont pas eu à le regretter (François Facchini).

Penser et agir avec lucidité c’est cesser de se bercer d’illusion, de se bercer de keynésianisme et de création monétaire qui ont sur notre économie le même effet qu’un verre de plus chez le buveur déjà à moitié ivre. D’autant que ces politiques accentuent – et de façon durable – les inégalités et de la façon la plus immorale puisque non liée à l’effort, au mérite et au service rendu (Friedrich-Karl Israel).

Penser et agir avec lucidité c’est enfin et surtout effectuer un travail sur nous-mêmes et opter pour un projet de société qui sert le bien commun. Illusion ! Utopie ! diront certains. C’était pourtant bien ce à quoi ont travaillé les grand libéraux. Dan Klein, grand spécialiste de la pensée Smithienne, nous rappelle quelles étaient les positions de Smith vis-à-vis de la pauvreté et de la recherche de richesses. Pour le philosophe-économiste écossais :

« le bonheur dépend principalement des conditions morales, et […] les conditions matérielles n’ont d’importance qu’à travers les conditions morales. La pauvreté spirituelle est le problème fondamental, et non la privation matérielle. […] Si les autorités se préoccupent d’améliorer la condition morale des gouvernés, qu’elles se souviennent que la condition morale croît avec la responsabilité morale. »

Penser et agir avec lucidité c’est donc comprendre que nos luttes contre les difficultés matérielles, les privations ont peu de chances de succès lorsqu’elles se font au mépris de la dignité humaine qui exige liberté et responsabilité.

Penser et agir avec lucidité c’est enfin comprendre que liberté et responsabilité sont les clés d’une dynamique qui, pour citer Adam Smith, « provoque, dans une société bien gouvernée, cette opulence universelle qui s’étend jusqu’aux rangs les plus bas du peuple ». Comme le soulignait Stephen Davies, c’est ainsi que nous parviendrons ensemble à relever les défis qui se présenteront à nous.

Il est donc urgent de retrouver cet enthousiasme pour les valeurs de la liberté qui animait Richard Cobden lorsque, dans une réunion publique, il s’adressait à ces concitoyens en ces termes[1] :

« Je regarde plus loin. Je vois dans le principe du libre-échange ce qui agira sur le monde moral comme le principe de gravitation agit sur l’univers – rapprochant les hommes, mettant de côté l’antagonisme de race, de croyance et de langue, et nous unissant dans les liens d’une paix éternelle. J’ai regardé encore plus loin. J’ai spéculé, et probablement rêvé, dans un avenir obscur – oui, dans mille ans – ; j’ai spéculé sur quel pourrait être l’effet du triomphe de ce principe. Je crois que cela aura pour effet de changer la face du monde, de manière à introduire un système de gouvernement entièrement distinct de celui qui prévaut actuellement. Je crois que disparaîtront le désir et le motif de créer des empires vastes et puissants ; de lever des armées gigantesques et de grandes marines – tous ces moyens utilisés pour la destruction de la vie et la désolation des récompenses du travail. Je crois que de telles choses cesseront d’être nécessaires ou d’être utilisées lorsque l’homme deviendra une seule famille et échangera librement les fruits de son travail avec son frère. Je crois que, s’il nous était permis de réapparaître sur cette scène sublunaire, nous verrions, dans une époque très lointaine, le système de gouvernement de ce monde revenir à quelque chose comme le système municipal ; et je crois que le philosophe spéculatif d’ici mille ans fera dater la plus grande révolution qui ait jamais eu lieu dans l’histoire du monde du triomphe du principe que nous sommes réunis ici pour défendre. Je crois ces choses : mais, quels qu’aient pu être mes rêves et mes spéculations, je ne les ai jamais imposés à autrui. Je n’ai jamais agi sur cette question pour des motifs personnels ou intéressés. Je ne recherche aucune alliance avec les partis, ni la faveur des partis, et je n’en accepterai aucune ; mais, ayant le sentiment que j’ai du caractère sacré du principe, je dis que je ne pourrai jamais accepter d’y toucher. Moi, du moins, je ne serai jamais soupçonné de faire autre chose que de le poursuivre de manière désintéressée, honnête et résolue. »


[1] Richard Cobden, Speeches on Questions of Public Policy by Richard Cobden, M.P., ed. by John Bright and J.E. Thorold Rogers with a Preface and Appreciation by J.E. Thorold Rogers and an Appreciation by Goldwin Smith (London: T. Fisher Unwin, 1908). Lien : https://bit.ly/3RXp4ZE (2011-09-24). Discours donné le 15 janvier 1846 à Manchester.

About Author

Pierre Garello

Pierre Garello est Professeur d’économie à Aix-Marseille Université (AMSE) où il co-dirige un Master d’économie du droit. Il est éditeur du Journal des économistes et des études humaines (www.degruyter.com/view/jeeh) et Président de l’Institute for Economic Studies – Europe (www.ies-europe.org)

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