« Une personne n’est pas honorable parce qu’elle est élue démocratiquement. Pour tout dire, cela fait d’elle un suspect. (…) Les politiciens dans la vie réelle ne sont pratiquement que des moins que rien, des valets, des demi-esprits. Et seule la démocratie leur permet d’atteindre ces positions élevées. Livrés à eux-mêmes, laissés à leurs réalisations personnelles, ils sont, presque sans exception, totalement insignifiants. (…) Le droit de vote n’est rien d’autre que profiter de l’occasion de piller la propriété d’autrui.[1] »
« Ces externalités négatives – parasites improductifs, tordus et délinquants – peuvent facilement compter parmi les plus fidèles soutiens [des dirigeants démocratiques]. (…) Les fainéants et les esprits inférieurs soutiendront plus volontiers leurs politiques égalitaristes.[2] »
Ces quelques citations liminaires permettent de comprendre immédiatement la charge provocatrice qu’exsudent les textes de Hans-Hermann Hoppe. Rien d’étonnant à cela lorsque l’on sait que ce dernier prône explicitement « un radicalisme idéologique sans compromis »[3]. Rien d’étonnant à cela lorsque l’on connaît le parcours de ce philosophe allemand né en 1949 d’abord inféodé à l’extrême-gauche, qui a traversé l’Atlantique pour devenir l’élève de Murray N. Rothbard avant de devenir l’un de ses proches collaborateurs jusqu’au décès du maître de l’anarcho-capitalisme en 1995. Par la lecture des œuvres de Ludwig von Mises, il découvre le libéralisme autrichien. Par la lecture de celles de Rothbard puis du fait de sa proximité avec lui, il va construire une conception personnelle et controversée de l’anarcho-capitalisme, l’austro-libertarianisme.
Les multiples ouvrages et articles de l’auteur constituent pour l’essentiel un approfondissement de ses conceptions antérieures, si bien que ses propos apparaissent souvent répétitifs. L’exposition de sa pensée est de nature à rebuter le lecteur français habitué à une architecture ordonnée et à un style fluide. Il n’est pas question dans une présentation sommaire de sa philosophie politique de reprendre l’ensemble des linéaments d’un auteur qui, originellement philosophe, est devenu un « autrichien » complet sur le plan disciplinaire, à commencer par l’histoire – même si ses conceptions semblent rudimentaires – ou la science économique. Aussi avons-nous choisi de structurer nos développements autour de cinq grandes idées de Hans-Hermann Hoppe qui permettront, nous semble-t-il, de les cerner de manière large. Plus précisément, la philosophie politique de l’auteur peut être synthétisée dans trois refus et deux promotions : le rejet de la démocratie et celui du libéralisme classique, la laudation de l’ordre naturel et celle de la bonne utopie d’une anarchie de propriétaires privés, enfin le rejet de la liberté d’immigration.
Le mythe démocratique
Le titre de l’un des principaux ouvrages de Hans-Hermann Hoppe ne laisse pas place au doute : il parle de la démocratie comme du « Dieu qui a échoué ». Oser critiquer cette dernière dans le monde contemporain, et spécialement en France, apparaît comme une nouvelle provocation de la part de l’auteur. Sur ce point, ces propos apparaissent limpides et pourtant ils semblent fréquemment déformés. Ainsi a-t-on pu en faire à tort un thuriféraire de la monarchie. Son rejet de la démocratie s’accompagne de la promotion d’un élitisme tout aussi iconoclaste.
Hans-Hermann Hoppe se reconnaît deux maîtres : Mises et Rothbard, mais il regrette que Mises se soit contenté de scruter les Etats princiers et qu’il ait délaissé la logique de la démocratie majoritaire, si bien qu’il se propose de combler cette lacune[4]. La visée de l’auteur est en fait bien plus vaste : il s’agit de remettre en cause la présentation commune de l’Histoire qu’il dénomme « théorie whig », selon laquelle la marche de l’humanité serait une marche en avant continuelle. Or, le passage de la monarchie à la démocratie, large conséquence de la Première Guerre mondiale, loin d’être un progrès, représente un « déclin civilisationnel »[5]. Hans-Hermann Hoppe n’hésite pas à se référer à un processus de « décivilisation » ; un processus qui, historiquement, est en réalité à deux étages : d’abord l’institution de l’Etat – la tête de turc de l’auteur, nous y reviendrons évidemment –, ensuite celle de l’Etat démocratique[6].
Comment comprendre ce rejet, pour ne pas dire cette haine, de la démocratie ? Là encore, Hans-Hermann Hoppe risque de bien mal se faire voir en France puisqu’il entend détruire le mythe démocratique et par voie de conséquence le tabou du suffrage universel. Il faut partir de l’Etat. Celui-ci apparaît comme une contradictio in adjecto : en effet, il se présente comme un protecteur de la propriété alors même qu’il n’est autre qu’une agence financée par l’impôt, donc un expropriateur, et qu’il aboutira à plus d’impôt et moins de protection[7]. En un mot, l’Etat est consubstantiellement un désastre, quelle qu’en soit la forme, mais l’Etat démocratique est encore pire. En effet, la préférence pour le court terme est plus accusée lorsque tout un chacun peut avoir accès libre et sans restriction à l’Etat, mais pour un temps limité. On pourrait croire que la compétition pour le pouvoir serait bénéfique, mais en réalité la concurrence n’est bonne que lorsqu’elle concerne la production de biens. « La démocratie est un système qui mène à la consommation systématique du capital.[8] » La majorité au pouvoir va profiter de son plus ou moins bref passage aux affaires pour redistribuer les richesses et les revenus. Ce n’est qu’avec la démocratie que « toutes les restrictions et inhibitions morales contre la saisie de la propriété légitime d’autrui sont levées »[9].
Hans-Hermann Hoppe fait de l’idée d’ordre naturel – nous y reviendrons – l’alternative à la monarchie comme à la démocratie et cet ordre suppose « l’existence d’une élite naturelle volontairement reconnue ». Là encore, sa pensée sonne comme une provocation puisqu’elle n’hésite pas à défendre une conception de nature aristocratique, mais il faut bien s’entendre sur ce terme. Une élite ne s’arroge pas le pouvoir, elle le recueille : « le résultat naturel des transactions volontaires entre différents propriétaires privés est résolument non égalitaire, hiérarchique et élitiste »[10]. L’égalitarisme démocratique disparaît.
La critique du libéralisme classique
Hans-Hermann Hoppe est un libéral qui dépasse le libéralisme. Plus précisément, il entérine la conception anarcho-capitaliste de la propriété, mais il anathématise la théorie libérale de l’Etat.
La science économique est celle de la rareté. Or, qui dit rareté, dit conflits potentiels. Le seul moyen d’éviter ces derniers est d’attribuer chaque bien en propriété privée. Hans-Hermann Hoppe s’inscrit ici dans la lignée de Rothbard en entérinant une vision lockienne – laïcisée – de la propriété. Au-delà du fait initial que chacun soit propriétaire de son corps, est propriétaire d’un bien celui qui détient le droit du premier occupant ou celui qui l’a acquis par échange consenti avec son détenteur[11].
Là où Hans-Hermann Hoppe s’éloigne irrémédiablement du libéralisme classique, c’est sur la question nodale de l’Etat. Les interminables développements des libéraux classiques au sujet des limites de l’Etat sont dénués de pertinence. En effet, la notion même de l’Etat limité n’a aucun sens, ainsi que l’observait déjà son maître Rothbard[12]. A partir du moment où une agence détient les monopoles fiscal et judiciaire, toute restriction de ses pouvoirs devient vaine. Le supposé protecteur de la propriété privée n’est autre que son fossoyeur en sa qualité d’expropriateur[13]. Un Etat prétendument minimal a vocation à se transmuer en Etat maximal[14]. Dès lors, demande Hans-Hermann Hoppe benoitement, « comment une institution aussi folle que l’Etat a pu être rendue possible ? »[15]. Après avoir « ridiculisé » l’idée de la démocratie, il entend en réalité faire de même avec la notion d’Etat[16]. L’Etat, cet imposteur, selon le sous-titre de l’une de ses œuvres les plus connues…
Distincte de celle de Mises, la philosophie politique de Friedrich Hayek est erronée. Hans-Hermann Hoppe voit dans la vision étatique de Hayek rien moins qu’une théorie social-démocrate, en un mot une vision étatiste. En congruence avec l’éreintement rothbardien de Hayek, il vitupère l’antirationalisme et la définition de la liberté de ce dernier qui aboutissent à un chèque en blanc donné à l’Etat[17]. Il se classe ainsi explicitement dans une branche différente de la branche antirationaliste de l’école autrichienne à laquelle appartient Hayek : la branche rationaliste des fondateurs du libéralisme[18].
L’ordre naturel et le conservatisme libertarien
Explicitement « libertarien de droite », Hans-Hermann Hoppe promeut la notion d’ « ordre naturel »[19]. Il relie cette expression avec le conservatisme, ce qui n’a rien de… naturel.
L’ordre naturel est celui qui correspond à la nature des choses et à la nature de l’homme. Il renvoie en réalité à l’anarchie, autrement dit à un « système social sans Etat »[20]. A son fondement se trouve l’idée que la civilisation ne correspond pas à l’exploitation, quel que soit le régime politique : monarchie ou démocratie, mais à la propriété, à la production et aux échanges volontaires[21]. Hans-Hermann Hoppe s’oppose non seulement à la « droite non libertarienne », mais aussi à la « gauche libertarienne »[22]. Il se définit comme un conservateur qui, de ce fait même, croit à l’existence de l’ordre naturel[23]. En effet, un conservateur véritable ne peut qu’être anti-étatiste, autrement dit libertarien[24].
On saisit dès lors pour quelle raison Hans-Hermann Hoppe se sépare explicitement de Hayek dont il brocarde les vues sur l’ordre spontané. Or, Hayek a fait de cette expression le contrepoint tant de l’ordre construit de la « gauche » que de l’ordre naturel de la « droite ». Certes, « entièrement conservateur sur le plan moral », il a gourmandé les hommes de droite pour leur volonté d’imposer à autrui des conceptions morales conservatrices. Et lorsque Hans-Hermann Hoppe expose qu’une société respectueuse de la propriété serait « profondément inégalitaire, intolérante et discriminatoire » – ces adjectifs étant entendus dans un sens positif…–, Hayek se récrierait[25]. Le philosophe allemand ne s’embarrasse pas de circonvolutions lorsqu’il relie la civilisation à celle des hommes blancs hétérosexuels et ce, non seulement dans l’histoire – « le libertarianisme fut d’abord développé et élaboré au-delà du monde occidental, par des hommes blancs, dans des sociétés dominées par des hommes blancs »[26] – mais encore dans le monde contemporain – « votre existence et votre bien être dépendent de manière décisive de l’existence continue des sociétés dominées par des hommes hétérosexuels blancs, de leurs structures familiales patriarcales, de leur style et conduite bourgeois ou aristocratique »[27]. On comprend que les homosexuels ou les féministes hystériques ne soient pas en odeur de sainteté sous la plume de notre auteur…
L’utopie d’une anarchie de propriétaires privés
Hans-Hermann Hoppe ne livre pas seulement le but de sa philosophie politique : la naissance d’une société civile sans Etat dans laquelle le droit privé évincerait totalement le droit public. Il en dévoile également la méthode.
L’erreur fondamentale du libéralisme classique réside dans sa théorie de l’Etat[28]. Pour que le libéralisme vive, il faut donc réparer son erreur et le transformer en anarchisme de propriété ou société de droit privé. Il ne s’agit d’ailleurs pas tant d’une transformation que d’une révolution au sens étymologique du terme : « le libéralisme rétabli à son intention originelle ». Cela encore est rien moins qu’évident…[29] Car le droit d’ignorer l’Etat constitue à l’évidence une rupture avec la pensée classique du libéralisme fondée sur l’endiguement, et non pas disparition, de la puissance publique.
Dans l’esprit de Hans-Hermann Hoppe, une réforme de l’Etat est dénuée de sens. A l’image du socialisme, l’Etat ne peut qu’être aboli. Le radicalisme du philosophe allemand est mis en pleine lumière. En toute logique, la société civile absorbant l’Etat, le but du libertarianisme revient à une dépolitisation absolue[30]. Les monopoles de la protection et de la justice détenus par la puissance publique explosent[31]. L’effacement de l’Etat laisse place nette aux relations entre les individus et aux procédures d’arbitrage régies par le droit privé – à vrai dire l’expression devient, comme celle de propriété privée, redondante : régies par le droit, par définition privé, serait alors plus exact.
Hans-Hermann Hoppe s’attache également à donner quelques clefs pratiques du passage de l’ombre à la lumière. La question de la transition est toujours nodale pour l’utopiste : comment diable une société de droit privé et de droit public, dans laquelle celui-ci surpasse celui-là, peut se transformer en société régie uniquement par le droit privé ? Deux termes apparaissent essentiels : la sécession et la privatisation. Le philosophe allemand se garde bien d’en appeler à la violence : une « sécession pacifique » suffit[32]. Il appartient à chaque individu de prendre conscience de sa servitude volontaire, de refuser dès lors de coopérer avec l’Etat et, si l’on peut dire, de rendre le roi nu. Dépouillé de son double monopole de la protection et de la justice, partant privé du pouvoir de lever l’impôt, l’Etat dépérit. Le droit de sécession est illimité puisque, loin de se réduire à des entités de nature étatique comme le prônait un John C. Calhoun explicitement cité, il appartient à chaque individu. « Je rêve d’une Europe de 1.000 Lichtenstein », déclare Hans-Hermann Hoppe[33]. Il martèle que plus l’Europe et les nations seront divisées, « atomisées » écrit-il, mieux la liberté sera préservée car plus un pays est petit, plus il est enclin à choisir le libre-échange[34]. En effet, la « prolifération sans restriction de territoires libres indépendants » produit une myriade de pays, régions, cantons, districts et quartiers libres, « intégrés économiquement par le libre-échange »[35]. Au-delà de la sécession, une anarchie de propriétaires privés passe par la privatisation intégrale de la propriété. Et comme historiquement tout est parti de la publicisation des rues, le parallélisme des formes suppose que la privatisation commence par celle des voies publiques[36].
Le refus de liberté d’immigration
L’insistance de Hans-Hermann Hoppe sur la question de l’immigration justifie qu’une section lui soit consacrée. Une comparaison avec un libéral de tendance libertarienne tel Pascal Salin est à cet égard utile.
On pourrait croire de prime abord qu’un anarcho-capitaliste, par définition attaché à un libre-échange total, serait partisan d’une entière liberté d’immigration et de frontières ouvertes à tous vents. Hans-Hermann Hoppe explique qu’il n’en est rien. Là encore, la logique anarcho-capitaliste semble bien établie. A partir du moment où l’individu est propriétaire de son corps et où le droit du premier occupant joue, l’utopie d’une anarchie de propriétaires privés fait disparaître le problème de l’immigration. Si tous les lieux sont possédés privativement et si la propriété se conçoit comme le droit d’admettre ou d’exclure autrui, il n’existe aucun « droit à l’immigration » : « il n’existe que le droit d’échanger, d’acheter ou de louer divers lieux »[37]. Les frontières ne disparaissent pas mais d’étatiques, elles deviennent privées[38]. Le pouvoir d’admission et d’exclusion ne disparaît pas mais d’étatique, il devient l’apanage des provinces, des cités, des villes, des villages, des quartiers et en définitive des propriétaires privés et de leurs associations volontaires, selon un mécanisme que l’on peut qualifier de subsidiaire[39]. L’immigration n’est pas libre, elle n’existe que sur invitation[40]. Le concept même de politique migratoire devient un non-sens, la question des réfugiés ne se pose plus. Il n’y a donc aucune contradiction à soutenir d’une part le libre-échange et d’autre part l’immigration limitée. C’est d’ailleurs, soutient Hans-Hermann Hoppe, l’absence de toute intégration forcée « qui rend possibles des relations pacifiques, le libre-échange, entre personnes de race, ethnie, langue, religion ou culture distincte »[41].
Il est intéressant de comparer la pensée de Hans-Hermann Hoppe sur l’immigration avec celle de Pascal Salin, d’autant que ce dernier a été amené à commenter directement les idées de son homologue. Les visions des deux auteurs sont, au-delà des différences substantielles de forme, très proches. Pascal Salin fait des libertés d’émigrer et d’immigrer le point de départ de la réflexion libérale sur l’immigration. Mais ce droit de l’homme ne signifie pas qu’une personne ait le droit d’aller là où elle veut ; il veut dire que cette personne peut aller librement là où autrui veut bien la recevoir. La liberté de se déplacer trouve pour limites les droits légitimes des autres individus, à commencer par leurs droits de propriété. Selon Pascal Salin, ce n’est pas l’immigration qui est le problème, mais l’Etat. Un Etat, légitime par principe pour le libéral – et c’est une différence majeure avec Hans-Hermann Hoppe bien évidemment – mais qui n’a pas pour autant légitimité à s’accaparer le droit d’exclusion et de discrimination pour des raisons arbitraires de nationalité[42]. Il faut cependant reconnaître que la position libérale apparaît sur ce point moins confortable que la position anarcho-capitaliste pour la simple et bonne raison que les hommes de l’Etat pourront toujours trouver des prétextes à leurs interventions dans la question migratoire, ne serait-ce que pour mener à bien les missions dites régaliennes…
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Par-delà le style et la forme, la philosophie politique de Hans-Hermann Hoppe témoigne d’une logique implacable. C’est toute la force de l’anarcho-capitalisme. Dès lors que l’on admet les prémisses du raisonnement, et particulièrement la théorie de la propriété et de l’Etat, les conclusions s’en évincent naturellement. C’était d’ailleurs l’un des objectifs essentiels du philosophe allemand que de pousser les théories de ses maîtres, la praxéologie de Mises et l’anarchisme de Rothbard, jusqu’à leurs extrémités. L’utopie d’une société uniquement régie par le droit privé prend corps.
Toutefois, même si Hans-Hermann Hoppe partage en fait la même conception que Hayek d’une utopie réaliste et non pas d’une utopie entendue dans un sens dystopique ou totalitaire, le lecteur est amené à formuler une triple réserve, non seulement dans les phases de la réalité présente et de la transition vers l’utopie, mais encore dans la phase finale de cette dernière.
En premier lieu, certaines déclarations de Hans-Hermann Hoppe sur la situation du monde contemporain laissent quelque peu songeur. Ainsi, lorsque, en 2022, un journaliste lui demande quelle devrait être la réaction des petits Etats face à un impérialisme des grands, il conseille aux petits de « mener une politique de neutralité stricte » et, dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne opposant deux « bandes corrompues », de se rendre s’il n’y a aucune chance de gagner la guerre[43]. Ce faisant, il s’inscrit dans la lignée de son maître Rothbard dont les positions en matière de politique étrangère – si tant est que l’expression ait eu une substance à ses yeux – n’ont pas toujours fait preuve d’une grande lucidité et d’un réalisme patent.
En second lieu, Hans-Hermann Hoppe se réfère à la position de l’Etat dans la phase transitoire de son dépérissement. Devant les sécessions illimitées dont il est sujet, l’« Etat » devra adopter une constitution de propriété privée, puis, dépourvu de propriété, il « devrait déclarer inconstitutionnelle sa propre existence et abdiquer »[44]. En mettant de côté les aspects juridiques et constitutionnels dont l’auteur n’est manifestement pas spécialiste, le lecteur se demandera si l’on se trouve toujours dans le cadre d’une utopie réaliste… En dernier lieu, Hans-Hermann Hoppe ne suit pas les brisées des utopistes les plus courants qui décrivent de manière radieuse la société du futur qu’ils appellent de leurs vœux en remplacement de l’abominable société existante. Ce ne sont pas tant les vœux du philosophe allemand qui amènent à cette considération que l’appréciation que l’on peut porter sur sa société utopique. L’« ordre naturel » d’une société de droit privé dans laquelle le droit d’exclusion serait entièrement restitué aux propriétaires, s’afficherait comme « profondément inégalitaire, intolérante et discriminatoire », et « dominé par des hommes hétérosexuels blancs »[45]. Il est permis de ne pas être exalté par le conservatisme, pour ne pas dire l’ultra-conservatisme, de Hans-Hermann Hoppe, de considérer que loin de rétablir le libéralisme à son intention originelle il le pervertit, et de lui préférer l’ordre spontané et l’humilité hayékiens.
[1] Hans-Hermann Hoppe, Que faut-il faire ? 1999, trad. Stéphane Geyres & Daivy Merlijs, s.l.n.d., pp. 22, 27 & 29.
[2] Id., La Grande fiction. L’Etat cet imposteur, 2012, trad. Philippe de Lacvivier, Le Drapeau blanc, 2016, p. 139.
[3] Id., Démocratie. Le Dieu qui a échoué, 2001, trad. Stéphane Geyres & Daivy Merlijs, Résurgence, 2020, p. 102.
[4] Id., Démocratie, op. cit., p. 87.
[5] Ibid., p. 75.
[6] Id., Bien comprendre le libertarianisme, 2017, trad. Léa Sentenac, Stéphane Geyres & Daivy Merlijs, s.l.s.d., pp. 50-51.
[7] Id., Démocratie, op. cit., p. 88.
[8] Conférence, « Schémas historiques et tendances selon la perspective austro-libertarienne », 2019, trad. fr., www.mises-fr.org.
[9] Id., Bien comprendre le libératarianisme, op. cit., p. 51.
[10] Id., Démocratie, op. cit., p. 77.
[11] Id., Bien comprendre le libertarianisme, op. cit., pp. 17-18 ; Entretien, Philosophie magazine, 2011, trad. fr., www.institutcoppet.org.
[12] Id., Murray N. Rothbard : économie, science et liberté, 1999, trad. Stéphane Geyres & Daivy Merlijs, s.l.n.d., p. 16.
[13] Id., Entretien, Wirtschaftswoche, 2014, trad. Solène Tadié, www.institutcoppe.org.
[14] Id., Démocratie, op. cit., p. 253.
[15] Id., Conférence, « schémas historiques et tendances selon la perspective austro-libertarienne, loc. cit..
[16] Id., Que faut-il faire ?, op. cit., p. 21.
[17] Id., Hayek sur l’Etat et l’évolution sociale, 1993, trad. Stéphane Geyres & Daivy Merlijs, s.l.n.d., pp. 13-14, 17, 20, 22, 28 & 48.
[18] Id. Murray N. Rothbard : économique, science et liberté, op. cit., p. 5 ; Murray N. Rothbard « Lettre sur la Constitution de la liberté par F. A. Hayek », 1960 in Hans-Herman Hoppe, Hayek sur l’Etat et l’évolution sociale, op. cit., pp. 54 & 64 ; Murray N. Rothbard, « Mémo confidentiel pour le Volker Fund sur la Constitution de la liberté de F. A. Hayek », 1958, in ibid., pp. 54-55.
[19] Hans-Hermann Hoppe, Bien comprendre le libertarianisme, op. cit., p. 41.
[20] Id., Démocratie, op. cit., p. XXXVI.
[21] Ibid., p. 77.
[22] Id., Bien comprendre le libertarianisme, op. cit., p. 26.
[23] Id., Démocratie, op. cit., pp. 205-206.
[24] Ibid., p. 218.
[25] Ibid., p. 232.
[26] Id., Bien comprendre le libertarianisme, op. cit., p. 42.
[27] Ibid., p. 43.
[28] Id., Démocratie, op. cit., p. 247.
[29] Ibid., pp. 259-260.
[30] Id., Bien comprendre le libertarianisme, op. cit., p. 80.
[31] Id., Que faut-il faire ?, op. cit., p. 21.
[32] Id., Démocratie, op. cit., p. 98.
[33] Id., Interview télévisée,« Je rêve d’une Europe de 1.000 Lichtenstein », 2022, trad. fr., www.mises-fr.org.
[34] Id., L’Europe de l’après-communisme : émigration, intégration et balkanisation, trad. Jakob Arfwedson, Institut Euro92, 1993 : Id., Entretien, Wirtschaftswoche, loc. cit. ; Id., La Grande fiction, op. cit., p. 128.
[35] Id., Démocratie, op. cit., p. 262.
[36] Id., La Grande fiction, op. cit., pp. 94 s. & 128.
[37] Id., Bien comprendre le libertarianisme, op. cit., p. 36.
[38] Ibid., p. 75.
[39] Id., Démocratie, op. cit., p. 162.
[40] Id., Bien comprendre le libertarianisme, op. cit., p. 74.
[41] Id., Démocratie, op. cit., p. 172.
[42] Pascal Salin, Libéralisme, Odile Jacob, 2000, pp. 231 s. ; Id., « L’optimum d’immigration », www.hanshoppe.com.
[43] Hans-Hermann Hoppe, interview télévisée, « Je rêve d’une Europe de 1.000 Lichtenstein », loc. cit..
[44] Id., Démocratie, op. cit., pp. 141-142.
[45] Ibid., pp. 229 & 232.