Les entreprises sont-elles encore libres ? La question mérite d’être posée tant elles sont désormais en France soumises à des charges règlementaires autant que fiscales et sociales qui limitent de plus en plus leur capacité à agir par elles-mêmes.
La réalité est que l’État considère l’entreprise comme un de ses agents. Désormais, l’entreprise ne collecte plus seulement les cotisations sociales, mais aussi l’impôt. D’ailleurs les cotisations sont devenues des impôts. Plus personne ne sait combien coûte ce qu’on appelle encore des assurances sociales et qui ne sont plus guère que des caisses de redistribution ad infinitum. Plus personne n’est donc responsable de ce que ça coûte et chacun dépense sans mesure. Le système est vicié.
Il y a aussi toutes les réglementations qui sont souvent des moyens de laisser à l’entreprise le soin de financer indument des décisions publiques. Le meilleur exemple est celui de l’isolation à 1€. Qui n’a pas reçu ce message : « Nous isolons vos combles pour un euro grâce au ministère de l’Écologie ! » Le programme d’isolation à 1 € est annoncé comme un programme d’État. Il est en fait financé par les principaux énergéticiens comme EDF, Engie (ex GDF Suez), mais également par tous les distributeurs de carburant : Auchan, Carrefour, Leclerc, Total, etc., dans le cadre du dispositif C2E (Certificats d’Économie d’Énergie). Ceux-ci sont obligés (loi POPE de 2005) d’économiser de l’énergie et comme ils ne peuvent pas le faire eux-mêmes, pour satisfaire leurs obligations, ils peuvent acheter des Certificats d’Économies d’Énergie (CEE) auprès des particuliers qui isolent leur logement et financent cette isolation en vendant ce certificat ! C’est donc un impôt déguisé qui permet au gouvernement de faire de la publicité pour lui sans gonfler les prélèvements obligatoires. Nous sommes en plein socialisme de connivence.
D’une manière générale, la France fait porter à ses entreprises des charges sociales et fiscales plus lourdes qu’à leurs concurrents étrangers :
- La France a un taux d’impôt sur les sociétés qui est, à 33% + contributions diverses éventuelles, le 3ème plus élevé du monde (hors Malte) après l’Inde et la République Démocratique du Congo ! Et elle est avant dernière en pourcentage de ses ressources tirées de l’IS (impôt sur les sociétés) par rapport au total de ses ressources fiscales ! En plus il faut tenir compte des impôts dits de production qui ajoutent parfois beaucoup à l’IS, à raison, par exemple, de 1,4% seulement des bénéfices commerciaux en Irlande ou 0,6% en Belgique contre 4,3% en Allemagne et 10,5% en France.
- Les entreprises françaises sont également surchargées de cotisations. Selon l’OCDE, en 2018, « les employeurs en France paient 26,5% des coûts de main-d’œuvre sous forme de cotisations de sécurité sociale, soit le niveau le plus élevé parmi les pays de l’OCDE ».
Que faire ?
Les entreprises doivent-elles payer des impôts ?
C’est un débat que pose à juste titre Pascal Salin précisément en considérant que « les entreprises ne paient pas d’impôts, c’est-à-dire que les impôts sont en fait payés par des individus ». Mais si les sociétés assujetties à l’IS payent cet impôt, c’est parce qu’elles ont souhaité que l’entreprise soit considérée comme une personne morale dont la responsabilité sociale soit, au travers de la société, identifiée et distinguée de celle de ses actionnaires. Ce système peut apparaître regrettable en tant qu’il déresponsabilise les chefs d’entreprise, mais il a permis le développement du capitalisme qui n’aurait sans doute pas eu son essor si la responsabilité des actionnaires n’avait pas été limitée à leur seul apport. La réalité est au surplus que si l’impôt est considéré comme un service (de sécurité, de routes, …) il n’y a pas de raison que l’entreprise ne paye pas cette prestation comme elle paye les autres services dont elle a besoin pour produire des biens qu’elle vend au consommateur, même s’il est vrai que l’impôt est de moins en moins corrélé aux services rendus.
Il serait pour le moins plus facile, même si la tâche reste immense, de faire admettre que les cotisations sociales n’ont pas à être payées par l’entreprise mais par les salariés auxquels l’entreprise paierait l’équivalent de ce qu’elle verse aujourd’hui en salaires et charges patronales et salariales, cette distinction n’ayant d’ailleurs aucun sens. Les salariés recevraient un salaire complet et seraient responsables de leurs assurances sociales qu’ils pourraient souscrire librement auprès de la Sécurité Sociale, comme aujourd’hui, ou de compagnie ou mutuelles privées. Il s’agirait de reproduire ce qui se fait pour l’assurance automobile ou l’assurance responsabilité civile par exemple.
Par ailleurs, il serait souhaitable que les charges obligatoires qui pèsent sur les entreprises soient neutres et raisonnables
Des impôts neutres
Un impôt neutre limite au mieux son incidence sur les comportements des contribuables. Il cherche à faire en sorte que les rapports des contribuables entre eux et par rapport à leur environnement soient le moins possible troublés par la perception de l’impôt. Ce qui contribue à lever les freins à l’innovation et la créativité autant qu’au travail et à l’effort. Un impôt à taux unique est sans doute à cet égard la meilleure solution. Un taux « plat », flat, et si possible le même pour tous les impôts et sur toutes les assiettes irait dans ce sens. Un même impôt au même taux, modeste, sans doute entre 15 et 20%, pour l’IS, l’impôt sur le revenu des personnes physiques et la TVA.
En Roumanie, le principe était jusqu’en 2018 que l’impôt soit au même taux de 16% sur les bénéfices des sociétés, les dividendes (5% depuis 2018), les revenus des personnes physiques (10% depuis 2018), les revenus des non-résidents. En Bulgarie, l’IS et l’IR sont à 10%, flat. D’une manière générale, les anciens pays de l’Est ont adopté des solutions de ce type et en ont tiré les fruits, même si au fil du temps, les taux des différents impôts tendent à s’écarter.
En 2015 | Taux de TVA (%) | Impôt sur les sociétés (IS en %) | Impôt sur le revenu (IR en %) | Charges sociales payables par l’employeur (%) |
République tchèque | 21 – 15 – 10 | 19 | 15 | 34 |
Hongrie | 27 – 18 – 5 | 10 – 19 | 16 | 28,5 |
Pologne | 23 – 8 – 5 – 0 | 19 | 18 – 32 | 21 |
Slovaquie | 20 – 10 | 22 | 19 – 25 | 35,2 |
Un impôt neutre, c’est aussi un impôt sans niches. Au titre des impôts qui pèsent sur les entreprises, ces niches représentent aujourd’hui environ 40 Mds d’euros (dont 7 au titre de la TICPE). Ce serait un bon moyen de rendre aussi l’impôt plus raisonnable.
Un impôt raisonnable
Car il s’agit aussi bien sûr que l’impôt soit fixé à un niveau compétitif et qui n’obère pas la capacité des entreprises d’investir. Mr. Macron a promis de ramener le taux de l’impôt sur les sociétés à 25%. Mais il y peine. Et ce ne serait sans doute pas suffisant. Le taux moyen d’IS dans le monde est de 21,24% (34,43% en France).
Pourtant, sauf exception, le produit de l’impôt sur les sociétés est en proportion presque inverse de l’importance du taux de l’IS. Il représente 3,71% du PIB en République Tchèque avec un IS à 19%, 3,21% en Slovaquie ave un IS à 21%, 2,83% au Royaume Uni avec un IS à 19%, 2,79% en Irlande avec un IS à 12,5%, 2,63% en Suède avec un IS à 21,4%, et seulement 2,35% en France avec son IS à 33% ! Il y a d’ailleurs des étrangetés comme l’Allemagne qui a un produit de 2,01% de son PIB avec un taux à 29,9% et la Belgique qui en a un de 4,14% avec un taux de 29,6%.
Dans tous les cas, il faudrait veiller à préserver la concurrence fiscale européenne. Elle seule permettra de protéger les contribuables contre l’insatiable volonté des gouvernants d’augmenter sans cesse les charges fiscales.
Ces mesures redonneraient des marges, mais aussi de l’envie aux entrepreneurs. Et elles rendraient plus responsables d’eux-mêmes autant que de leur avenir commun tous les acteurs de l’entreprise. Or c’est sans doute par la responsabilité, et peut-être rien d’autre, qu’on pourra peut-être retrouver le chemin d’un pays libre et d’une croissance significative et durable au profit de tous.