La proximité des élections européennes nous offrait une excellente occasion de présenter les positions des libéraux sur l’Europe. Nous avons saisi cette occasion en ouvrant un dossier « Europe » qui, suivant la philosophie et la stratégie de ce Journal, sera encore alimenté par des contributions à venir dans les prochains numéros.

Pierre Garello est économiste, Professeur des Universités et Président de l’Institute for Economic Studies-Europe.

Pour ouvrir ce « dossier Europe » Jean-Philippe Delsol nous propose une thèse sur les racines libérales de l’Europe. En à peine une dizaine de pages il explique comment, à partir d’une concurrence entre juridictions et grâce à la convergence de plusieurs sources d’inspiration (grecque, romaine, judéo-chrétienne) est né un sens tout particulier de la valeur et de la dignité de l’individu et une façon originale de concevoir la société.

Ce sens de la dignité humaine s’est exprimé grâce mais aussi à travers la diversité des nations. L’une des idées fortes rappelées dans ce numéro, et tout particulièrement à travers les contributions de Pascal Salin et de Jésus Huerta de Soto, est que nationalisme et libéralisme ne s’opposent pas nécessairement. Il y a même une forme de nationalisme respectueuse de l’individu, qui peut nourrir une société libérale. Le danger, par contre, est présent chaque fois qu’un nationalisme s’appuie sur la coercition de l’État pour s’affirmer : le national-socialisme, l’État-nation.

Si donc nous avons reçu en héritage des valeurs précieuses et les clés d’une société libre, prospère et paisible, nombreuses sont néanmoins les attaques et menaces à affronter. Notre héritage est fragile, et la « construction européenne » de ces dernières décennies offre un bon exemple de cette fragilité. La sagesse aurait voulu que, suite aux atrocités commises dans la première moitié du XXe siècle, nous nous orientions vers une Europe des nations dans laquelle chaque individu aurait eu une plus grande liberté pour choisir le groupe, les coutumes, les sensibilités qui ont sa préférence. Nous republions ici quelques extraits du discours de Bruges par lequel Margaret Thatcher nous incitait précisément à aller dans cette direction. Mais, ainsi que l’explique, chacun à sa façon, Jacques Garello, Roland Vaubel ou Markus Kerber, nos gouvernants, s’ils ont envisagé parfois cette possibilité, ne s’y sont jamais vraiment engagés. La clé du succès se trouvait dans une mise en œuvre cohérente du principe de subsidiarité, mais les institutions européennes, façonnées par une série de compromis, n’ont pas permis qu’il en soit ainsi.

Cette analyse critique des institutions européennes a toutefois le mérite aujourd’hui d’ouvrir des pistes qui permettraient de remettre la vieille Europe sur les bons rails. Ces pistes, nécessitant une révision constitutionnelle, sont explicitées dans plusieurs contributions.

Les autres contributions présentées dans ce numéro peuvent également être rattachées à cette problématique générale de la défense des valeurs de la liberté qui ont fait les beaux jours de l’Europe. Ainsi, pour Philippe Nemo le libéralisme présuppose des valeurs qui s’expriment à travers des normes que l’on ne peut pas remettre en question tous les jours. Dans la mesure où les libertaires rejettent toutes les normes qui leur paraissent désuètes, ils se mettent donc en porte-à-faux avec le libéralisme. Derechef, en supprimant imprudemment les normes qui sont l’émanation d’un subtil processus d’essais, d’erreurs et de corrections, on crée un appel d’air pour des régulations venues d’en haut, de l’État. Ainsi la pensée libertaire offrirait-elle un terreau propice au socialisme. Philippe Nemo illustre son propos avec l’exemple de la famille : les évolutions récentes de la législation mettraient-elles en danger nos libertés plus qu’elles ne les serviraient ? S’appuyant sur les travaux de psychologues, il souligne le danger que ces évolutions—qui ont les faveurs des libertaires—fragilisent la famille nucléaire et, par-delà, l’individu qui ne sera plus une personne responsable et sociable. Si tous les libéraux ne partageront pas nécessairement les craintes exprimées ici, l’enjeu est de taille et méritait qu’un débat sérieux soit ouvert. C’est chose faite.

Plusieurs auteurs reviennent également sur la question de l’immigration. Le recteur Dumont explique pourquoi selon lui l’Europe, et en particulier l’Allemagne, a mal géré cette question en laissant se développer la crise Syrienne et, une fois le drame Syrien enclenché, en adoptant des politiques fort mal inspirées. Une fois encore ce qui a fait défaut est un manque de réflexion : « La tragédie de Merkel n’est-elle donc pas aussi celle d’une UE qui a mal mis en œuvre les libertés dont elle se réclame ? ». Justement, cette réflexion de fond sur l’immigration et la liberté est amorcée dans ce numéro à travers deux autres contributions : Benjamin Powell, s’appuyant sur une série de travaux empiriques, « déblaie le terrain » en montrant que l’immigration, même en provenance de régions du monde qui ignorent les libertés et le droit, n’est pas nécessairement dommageable pour une nation libre. Pascal Salin de son côté dresse la liste des conditions pour une immigration vertueuse. Il explique en particulier dans quelles circonstances une intervention de l’État bien comprise pourrait être judicieuse.

Autre question qui sera dans les débats à venir sur l’Europe, celle des travailleurs déplacés. Pour que le débat soit constructif il importe tout d’abord de savoir ce dont on parle. Virginie Renaux-Personnic nous présente le « millefeuille » des lois, règlements, directives nationales et européennes en la matière. Jusqu’à la toute récente « Autorité européenne du travail » ! Mais, ainsi qu’elle l’explique, trouver une cohérence dans tout cela n’est pas chose simple. Pascal Salin aborde la même question en prenant le recul nécessaire pour mettre en évidence les principes qui devraient gouverner la liberté de travailler au sein de l’Europe.

Les réflexions de Pierre Bessard sont, elles aussi, pertinentes pour quiconque tente de prévoir les conséquences de la consultation électorale du mois de Mai prochain. Il explique que la démocratie, directe ou représentative, ne suffit pas à protéger les libertés. Partant de l’expérience Suisse, il montre que la démocratie directe (on pense au RIC tant à la mode !) n’est un « plus » que dans un environnement respectueux des libertés. Là où les électeurs ont déjà majoritairement succombés aux sirènes de l’État-Providence, le RIC servira au contraire à justifier les spoliations les faisant passer pour ce qu’elles ne sont pas.

Mais l’actualité ce n’est pas uniquement les élections européennes. Aussi revenons-nous sur des questions qui sont importantes et non-résolues et sur lesquelles une réponse compatible avec les valeurs exposées dans les articles sur les fondements du libéralisme est possible et souhaitable. Bertrand Lemennicier, à travers une enquête sur la création et le fonctionnement de la Paris School of Economics, soulève ainsi l’épineuse question du financement de la recherche et de l’enseignement supérieur. Comment attirer des compétences dans ce secteur et comment favoriser ce polycentrisme, si cher à Michael Polanyi dans sa Logique de la liberté ? Le modèle, très particulier, de la PSE n’est pas, d’après l’auteur, la piste la plus prometteuse et s’apparente plus à une recherche de rente. Ronny Ktorza revient quant à lui sur la réforme de la SNCF pour nous dire que, malheureusement, l’agitation, voire la colère, du printemps dernier, n’a en fin de compte pas servi à grand-chose : Pas de privatisation et une libéralisation qui ne suffira pas à mettre en place une concurrence robuste. Nous ferions bien de nous inspirer du succès de la réforme Japonaise ! Enfin, Fadi Chehadé, qui a dirigé de 2012 à 2016 l’ICANN, soulève une question d’une extrême importance que l’on se doit de traiter, même si sa technicité est de prime abord repoussante ; celle de la gouvernance de l’Internet. ICANN est l’entreprise qui distribue les noms de domaine et régule l’Internet dans le monde entier, ou tout du moins ses « racines ». Longtemps placée sous la tutelle de l’état fédéral américain, cette entreprise est depuis 2016 un organisme indépendant : le cordon ombilical qui la reliait à l’État a été coupé. Si cette évolution était nécessaire, beaucoup reste à faire pour que l’Internet continue de se développer dans le respect des libertés. Fadi Chehadé offre un plaidoyer pour une co-gouvernance de l’Internet : Une solution in habituelle pour une problématique elle aussi hors du commun.

En espérant être resté fidèle à notre mission d’enrichir les débats et de s’assurer que les positions des libéraux soient bien comprises, je vous souhaite, comme toujours et au nom de toute l’équipe de la rédaction, une excellente lecture.

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Journal des Libertés

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