Texte support de la conférence tenue à Aix en Provence le 13 juillet 2024 lors de l’université d’été des libéraux, sous le titre « Transitions énergétiques dirigistes, mal-investissement et esprit d’entreprise ».

L’Union Européenne a fait de son « green deal » la pierre angulaire de son projet politique, et l’élément clé de ce programme environnemental est un ensemble de politiques très dirigistes destinées à atteindre en Europe le « Net Zéro 2050 », c’est-à-dire, la valeur des émissions de CO2 que l’UE peut absorber via ses « puits de carbone ». Mais cet objectif est-il réaliste ? Quels en seraient les effets économiques ? Est-il technologiquement plausible ? Ne porte-t-il pas en germe de graves atteintes à nos libertés ? Ne pourrait-on pas proposer une stratégie plus libérale susceptible d’atteindre de meilleurs résultats ? Telles sont les questions auxquelles je voudrais ici apporter des réponses.

1. Impact de l’objectif Net Zéro 2050 sur l’économie de l’UE et sur le climat

En 2022, l’UE a émis 2,8 Gt de CO2 dans l’atmosphère, 7,5 % des émissions mondiales. Cette valeur a diminué de 28 % entre 1990 et 2022, soit en moyenne – 1 % par an. L’UE est de très loin le bloc politique ayant enregistré les plus fortes baisses d’émissions sur cette période.

Mais les parlementaires de l’Union estiment que ça ne va pas assez vite. Ils ont donc voté récemment des objectifs de baisse d’émissions renforcés, instituant l’obligation d’atteindre le « net zéro » d’ici à 2050. Selon les hypothèses les moins contraignantes, cela implique 70% de baisse d’ici 2050, soit – 4,5 % par an. Les parlementaires ont également voté des objectifs intermédiaires pour 2030 et 2040.

L’UE veut donc multiplier par 4,5 la vitesse de réduction des émissions. Est-ce réaliste ?

Émissions et croissance, quel lien ?

L’économiste Japonais Kaya a popularisé, à travers une égalité triviale, la relation entre émissions de CO2, consommation d’énergie, et PIB. L’égalité de Kaya complète est la suivante :

Sous une forme condensée, elle peut s’écrire ainsi :

L’égalité rappelle que les émissions, la croissance et « l’intensité carbone du PIB », c’est-à-dire la quantité de CO2 que nous devons émettre par unité de richesse créée, ne peuvent pas évoluer indépendamment. Si on force les émissions à baisser plus vite que nos progrès technologiques permettent de réduire l’intensité carbone du PIB, il y a nécessairement décroissance.

Voici comment ont évolué les indicateurs de l’égalité simplifiée de Kaya depuis 1990 dans l’UE (figure 1) :

Figure 1 : Évolution des paramètres de Kaya, UE, par décennie

Les émissions ont diminué moins vite que l’intensité CO2 du PIB, aussi avons-nous conservé une croissance positive, bien qu’en déclin au fil des décennies.

Mais forcer chaque année les émissions à décroitre de 4,5 %, avec une réduction de l’intensité carbone d’environ 3 %, fera nécessairement baisser le PIB. De combien ? L’égalité de Kaya permet de le calculer simplement : – 1,54 % par an ! D’ici à 2050, cela représente une contraction d’exactement un tiers du PIB.

L’égalité de Kaya montre également que pour conserver 1,6 % de croissance avec une telle réduction des émissions, il faudrait faire passer le rythme de réduction de l’intensité carbone du PIB à plus de 6 % annuels pendant 26 ans. Est-ce plausible ? Non. Le passé montre que le record du monde en la matière est détenu par la France dans la décennie 80, avec 5 % par an. Cette performance n’a été possible que grâce à la mise en service de 45 réacteurs nucléaires, ce qui a nécessité 10 ans de préparation, et n’a pu être reconduit dans les décennies suivantes. Or, ces 15 dernières années, l’UE n’a rien préparé de crédible. Ses votes sont de simples vœux pieux.

Scénario réaliste vs scénario intégriste, quelle différence pour le climat ?

Une simple reconduction des performances passées de l’UE permettrait de conserver une croissance d’environ 1,6 % et de réduire les émissions d’environ 25 % par rapport à aujourd’hui. Entre ce scénario « business as usual » permettant au PIB de gagner environ 50%, et la projection utopique de l’Union Européenne, impliquant 33 % de perte de richesses, la perte cumulée de PIB d’ici 2050 serait de l’ordre de 160 mille milliards d’euros. Chaque Européen serait environ 2 fois moins riche en 2050 sous le scénario net zéro que sous une trajectoire plus réaliste.

En termes d’émissions, le scénario raisonnable amènerait l’UE autour de 2 Gt/an en 2050, contre 0,8 dans le scénario net zéro. La différence d’émissions cumulées d’ici à 2050 serait de l’ordre de 15 Gt. Le coût de la tonne ainsi économisée en termes de PIB serait donc d’environ 10 000 Euros ! Or, la très grande majorité des études économiques du « coût social » de la tonne de CO2 évaluent celui-ci entre 20 et 100 Euros[1]. Tout plan de réduction des émissions s’écartant de cette fourchette est donc économiquement destructeur.

Quant à l’effet de ces 15 gigatonnes sur le climat et sur les températures mondiales, il serait nettement inférieur à 1/100ème de degré Celsius, selon le dernier rapport du GIEC[2], qui précise que l’ajout de 1000 Gt de CO2 dans l’atmosphère augmente quasi linéairement la température d’environ 0,45°C.

Diviser par plus de 2 la richesse des européens pour réduire la moyenne des températures mondiales de moins d’un centième de degré : telle est l’ineptie de l’objectif Net Zéro 2050.

2. Impossibilité sociale et matérielle du Net Zéro 2050 

Cela n’arrivera pas : tout d’abord, les individus et les entreprises sont naturellement croissants. La croissance est la faculté d’obtenir plus de fruits de son travail en se donnant moins de peine. Personne ne se lève le matin en se disant qu’il serait heureux de travailler plus pour gagner moins. Au niveau d’une économie, la croissance est l’agrégation de toutes ces volontés individuelles. Une décroissance « durable » ne pourrait être provoquée que par des mesures extrêmement coercitives de nature totalitaire. Il faut espérer que la Commission européenne n’ait jamais autant de pouvoir.

Ensuite, une économie en très forte décroissance ne pourrait pas financer les investissements nécessaires à l’amélioration continue de notre intensité carbone. Enfin, nos États providence feraient faillite, et aucun gouvernement ne souhaite affronter la colère populaire qui en résulterait.

Le mur de la physique et celui de la finance

A ces arguments macro-économiques, certains répondent que les développements technologiques en cours pourraient drastiquement accélérer la baisse de notre intensité carbone et faire mentir ceux qui interprètent l’égalité de Kaya dans un sens pessimiste. C’est une vue de l’esprit.

Le scénario « net zéro » de l’UE[3] prévoit que la part des énergies fossiles dans notre consommation d’énergie primaire évolue de 68% en 2022 à 15% en 2050, soit là encore une multiplication par 4,5 du rythme de cette baisse (figure 2).

Figure 2 : Part des énergies fossiles dans le mix énergétique de l’UE pour atteindre Net Zéro 2050

Sans entrer dans un fastidieux dénombrement d’éoliennes, de centrales nucléaires, de batteries ou de mines qu’il faudrait mettre en service, de logements qu’il faudrait rénover, ou de voitures, tracteurs, camions qu’il faudrait remplacer en une génération pour accomplir cette performance, on pourra se référer aux travaux de Vaclav Smil[4] ou à ceux de Simon Michaux[5], lesquels démontrent que les ordres de grandeur physiques et financiers nécessaires à une telle transformation de notre paradigme énergétique sont inaccessibles pour 2050, en l’état actuel des technologies disponibles ou prévisibles.

Notons que l’UE elle-même estime l’investissement annuel nécessaire à 10% de son PIB à partir de 2030[6]. Smil note que ces estimations au stade du concept sont généralement trop basses, la réévaluation moyenne de tous les grands projets s’établissant autour de 60%, ce qui amènerait la dépense climatique annuelle à plus de 16% du PIB.

Ce sont des niveaux que l’on a seulement vus pendant des guerres et insoutenables plus de quelques années. Il est très peu probable que la perspective d’économiser un centième de degré en 2050, sans la moindre amélioration du quotidien matériel des populations, provoque la même acceptation sociale d’un tel niveau de dépenses pendant plus de 25 ans !

Les politiciens espèrent un miracle. Il en faudrait des dizaines !

Face à ces constats de bon sens, les politiciens répondent fréquemment que des ruptures technologiques, qu’ils sont incapables de détailler, permettront de répondre au défi d’une transition écologique plus rapide qu’actuellement. Ce vœu pieux ignore que remplacer les énergies fossiles, qui sont absolument partout dans notre vie, ne nécessite pas une ou deux, mais une pluie de ruptures technologiques, et on peut parier à coup sûr qu’une telle pluie de miracles ne se produira pas d’ici 2050. Fonder une politique publique sur une conjecture aussi hasardeuse est irresponsable.

Et quand bien même certains de ces miracles auraient lieu, le temps nécessaire pour que leurs fruits industriels se diffusent à la société se compte en générations. Entre l’avion des frères Wright et le premier avion de ligne transatlantique, un demi-siècle a été nécessaire. La batterie Lithium ion, inventée en 1976, a mis 15 ans pour sortir du laboratoire dans des calculatrices, et 30 ans pour arriver timidement dans nos automobiles. Et 50 ans après, elle ne s’est toujours pas imposée dans les secteurs du transport, malgré des aides publiques massives.

3. Menace contre les libertés

Les objectifs d’émissions sont impossibles à atteindre, mais afin de ne pas perdre la face les politiciens se doivent de faire semblant d’essayer. Aussi, au nom de la sauvegarde du climat, les mesures liberticides se multiplient dans le monde occidental. En voici quelques exemples hélas non exhaustifs.

Libertés individuelles

Certains pays membres de l’UE ont déjà mis en place des programmes à court ou moyen terme coercitifs contraignants, notamment pour leurs ménages modestes. Citons pêle-mêle l’obligation d’installer des chauffages par pompe à chaleur, les restrictions des voitures thermiques en ville, l’interdiction de louer des logements insuffisamment isolés, etc.

Des banques privées, soucieuses de paraître vertueuses, proposent à leurs clients, de façon facultative, des cartes bancaires avec « plafond d’émissions intégré ». Mais déjà des politiciens voudraient rendre ce type de moyens de paiement obligatoire, voire instaurer de véritables « passeports carbone », pour l’instant sans succès. Des « experts » très médiatisés, tels que Jean Marc Jancovici ou Aurélien Barrau, veulent limiter nos voyages en avion, notre automobilité, notre consommation de viande, etc. Ces idées paraissaient loufoques il y a dix ans. Certaines sont devenues des menaces politiques tangibles.

D’une façon générale, un courant de pensée affirmant que « l’État d’urgence climatique exige des limitations des libertés » prend de l’ampleur[7] et trouve de nombreux relais dans les partis politiques, notamment de la gauche française. Le choix des mots est ici essentiel : s’il y a urgence, le peuple doit accepter les restrictions adoptées au nom de cette urgence. Et il faudra faire taire ceux qui osent rappeler qu’aucun indicateur mondial[8] lié au climat (production agricole, coût des désastres, etc…) n’est constitutif d’une crise, au point que l’an dernier, un député a proposé une loi[9] (non adoptée) visant à lutter contre le climato-scepticisme dans les médias.

Liberté d’entreprendre

Les Néerlandais et les Irlandais ont découvert avec sidération qu’au nom du climat et avec la bénédiction de l’UE, leurs gouvernements pouvaient introduire des législations forçant certaines entreprises, en l’occurrence des élevages bovins[10], à être liquidées pour leur empreinte carbone supposée. Ces initiatives ont suscité un retour de bâton politique fort pour l’instant, mais n’en constituent pas moins à grande échelle le premier exemple d’interdiction d’entreprendre édictée par des gouvernements sous prétexte écologique. Cela ouvre la voie à la création, directe ou par voie détournée, de « permis d’entreprendre » arbitraires.

L’agriculture n’est pas la seule touchée. Les constructeurs automobiles ou le transport aérien, pour ne citer qu’eux, sont menacés d’amendes record[11] dès 2025 parce qu’ils n’arrivent pas à atteindre les objectifs arbitraires de l’UE.

La « finance durable » pour étrangler l’entreprise

Mais le vecteur le plus puissant de cet éco-centrisme passera par la répression financière de toutes les entreprises.

Tout d’abord, la directive CSRD[12] impose de compléter les publications financières à destination des actionnaires par des « rapports de développement durable » d’une complexité normative ingérable pour les entreprises moyennes. Ces rapports pourront ensuite servir de base à des ONG pour attaquer des entreprises qu’elles auront prises en grippe, et à des États pour interdire à certains groupes l’accès aux marchés publics, etc.

De plus, le système bancaire, par l’entremise de la BCE, prépare un cadre législatif européen visant à entraver les possibilités d’accès aux marchés financiers à des entreprises dont les rapports CSRD seraient jugés insuffisants. La banque de France, sous l’égide de la BCE[13], travaille d’ores et déjà sur l’inclusion de critères « durables » sur la notation du risque représenté par les entreprises, augmentant les taux exigibles envers celles qui seront moins bien notées, quand bien même elles seraient bien gérées. Les banques occidentales s’interrogent sur la possibilité légale de continuer le financement d’investissements liés, même indirectement, aux industries fossiles, ce qui les met en position très difficile face à leurs concurrentes, notamment chinoises, qui n’ont pas les mêmes contraintes.

4. Les bases d’une stratégie alternative de long terme

Depuis 1990, année prise comme référence par les politiques climat de l’Union européenne, les émissions de CO2 ont évolué dans le monde de la façon suivante (figure 3) : 

Figure 3 : Évolution comparée des émissions de CO2 en Gigatonnes

Émissions annuelles de CO2 par les énergies fossiles et l’industrie (sans prise en compte du changement d’affection des terres)

Source des données: Ourworldindata.org/co2-and-greenhouse-gas-emissions and Global Carbon Bugdet (2023)

Les augmentations d’émissions sont donc uniquement le fait de l’Asie. Dans le reste du monde, les faibles gains des uns ont été compensés en partie par la faible hausse des autres. Ce fait majeur est pourtant rarement mentionné par les médias.

Vers une convergence des émissions en fonction de la population ?

En prolongeant de façon réaliste les tendances actuelles jusqu’en 2030, un phénomène intéressant peut être constaté : les gros blocs émetteurs voient leur pourcentage dans les émissions mondiales (figure 4)[14] converger lentement mais sûrement vers une part légèrement supérieure à leur poids dans la population mondiale.

En effet, l’Asie représentera 61% des émissions pour 58% de la population, et ces pourcentages seront respectivement de 14% et 7.5% pour l’Amérique du Nord, et 11.5% et 8.5% pour l’Europe. Et plus on avancera dans le temps, plus les émissions des différents continents seront d’abord fonction de leur population.

Figure 4 : Part des émissions mondiales de CO2, grands émetteurs

Source des données : Source : Ourworldindata.org

Le seul bloc qui à ce jour ne converge pas vers cette moyenne est l’Afrique, 20% de la population mais à peine 5% des émissions, du fait de sa grande pauvreté. Mais il est concevable que l’Afrique puisse entamer un décollage économique d’ici une à deux décennies, comme l’Inde, qui partait d’aussi bas il y a 20 ans, est en train de le faire.

Cette convergence lente mais inexorable des émissions par tête qui s’opère entre pays émergents et pays les plus développés est déjà perceptible en comparant celles de l’Asie, en particulier la Chine, à celles de l’Union Européenne, et de l’ensemble des pays développés (figure 5).

Figure 5 : Émissions de CO2 comparées par habitant de l’Asie, de la Chine, de l’UE, et des pays les plus riches

Sources : Global Carbon Budget (2023). Population based on various sources (2023). OurWorldin Data.org/co2-and-greenhouse-gas-emissions

Les émergents ont à ce jour choisi le charbon

Or, les grands blocs émergents, dont la Chine et l’Inde, ont fait le choix de privilégier le charbon[15] pour accroître leur production électrique. Entre 1990 et 2023, l’Asie a multiplié sa consommation d’énergie par 3,6 et augmenté sa consommation de fossiles de 55 TWh, dont la moitié en charbon, soit 7 fois plus que pour la somme des renouvelables et du nucléaire.

Pourquoi cette préférence pour le charbon ? Les réacteurs nucléaires de génération actuelle présentent des coûts d’investissement initiaux très élevés, et la main d’œuvre très qualifiée capable de les entretenir et de les exploiter est insuffisante dans de nombreux pays. Même la Chine, pourtant louée par certains pour son programme nucléaire, mettra en service 20 fois plus de GW charbon que de nucléaire (environ 500 GW contre 24) durant la présente décennie. Il faudra au moins une nouvelle génération de sauts technologiques à cette filière pour espérer détrôner les énergies fossiles, notamment dans les pays émergents.   

Et ne vous laissez pas impressionner par les déclarations des dirigeants chinois ou indiens promettant le Net Zéro pour 2060 ou 2070 : ces promesses n’ont pas plus de valeur que le Net Zéro 2050 des occidentaux. Les dirigeants de ces pays ont été clairs : réalisme économique oblige, ils ne substitueront des énergies non émettrices aux hydrocarbures que lorsqu’elles seront, à fiabilité égale, plus économiques.

De fait, l’Asie recense 77% des centrales électriques à charbon actives dans le monde[16]  (6580 au total), dont 50% pour la Chine, et compte pour 96% des nouvelles unités en projet (Chine = 64%). 86% des centrales chinoises ont moins de 20 ans, et la Chine espère faire durer ses nouvelles générations de centrales jusqu’à 40 ans. Le charbon ne disparaîtra pas du paysage énergétique mondial demain. Or, ces centrales sont responsables de 39% des émissions de l’Asie et 42% de celles de la Chine.

Seule stratégie gagnante de long terme : remplacer le charbon 

On pourrait objecter que le charbon n’est pas tout, et que tant le chauffage résidentiel que les transports sont aujourd’hui très dépendants du gaz ou du pétrole. Mais les solutions envisagées pour réduire les émissions de ces secteurs supposent de les remplacer massivement par de l’électricité. On en revient donc toujours à la même question : par quoi toute cette nouvelle demande en électricité sera-t-elle satisfaite ? Combien de nouvelles centrales nécessaires ?

De fait, l’élément crucial de la baisse des émissions dans le monde, à long terme, est le remplacement, entre 2050 et 2070, d’une quantité importante de centrales à charbon asiatiques, et peut être africaines.

Deux questions se posent : par quelles technologies sera-t-il possible de les remplacer ? Et qui seront les principaux fournisseurs de ces technologies de substitution ?

Remplacera-t-on le charbon… Par du charbon ? du gaz ? Ces deux hypothèses n’ont rien d’absurde, ces technologies bénéficiant actuellement d’une très forte avance sur les autres en termes de coûts d’investissements initiaux au KW, notamment en Chine et en Inde[17]. Si, au terme de la vie des centrales actuelles, les technologies décarbonées n’ont pas comblé ce handicap, il n’est pas exclu que les pays émergents prolongent le recours aux fossiles de plusieurs décennies. 

Or, l’éolien et le solaire ne sont pas près d’avoir la fiabilité nécessaire pour remplacer durablement des énergies fossiles pilotables, faute de moyen réaliste de stocker massivement l’électricité. Les technologies de production électrique à la fois pilotables et décarbonées (nucléaire, géothermie, biofuels, etc.)  doivent encore faire de très gros progrès pour amener le prix de leur électricité au même niveau que le charbon. 25 ans ne seront pas de trop pour y parvenir.

Si le CO2 est réellement le problème que dénoncent les écologistes catastrophistes, alors la seule stratégie valide pour en réduire les émissions à long terme est de laisser les entreprises concevoir et vendre les moyens efficaces de remplacer les centrales au charbon ou au gaz dans 25 à 40 ans.

Nous devrions concentrer nos efforts sur la recherche et le développement de ces centrales pilotables efficientes de demain, plutôt que d’imposer des mesures d’écologie punitive dès aujourd’hui à nos populations. Dans un tel scénario, l’État concentrerait ses ressources limitées sur la recherche fondamentale, et devrait améliorer la capacité des acteurs publics (CNRS, EDF, etc.) et privés à collaborer et trouver les financements privés massifs nécessaires pour transformer les recherches les plus prometteuses en solutions commercialisables.

5. Conclusion : nihilisme éco-punitif ou confiance en l’esprit d’entreprise ?

Encore faut-il, pour que nous puissions être des acteurs majeurs de la fin du charbon dans le monde, que nos territoires restent des berceaux d’innovation. En effet, les entreprises qui assureront la succession du charbon viendront-elles des pays qui auront continué de se développer normalement, ou de ceux qui auront sciemment saboté leur économie en lui imposant une transition énergétique forcée à un rythme trop rapide ? De ceux qui continueront à s’inscrire dans le commerce mondial, ou de ceux qui s’en seront soustrait en imposant un protectionnisme vert ?

Introduire dans la vie des gens une obligation de sobriété environnementale par voie coercitive ne rendra pas désirable cette vie. Qui voudra vivre, inventer et risquer d’entreprendre sur un territoire qui ne nous promet que des interdits, des contraintes, un perpétuel soupçon d’atteinte à l’environnement, sans perspective d’échapper à une vie personnelle rationnée par l’empreinte carbone érigée en instrument de répression sociale ? Et dans ces conditions, comment inventer les technologies décarbonées de demain ?

Ajoutons qu’il existe un fort risque de dérive autoritaire des pouvoirs convertis à l’écologisme religieux contre les inévitables manifestations de mécontentement qui ne manqueraient pas de s’exprimer dans de telles sociétés, mécontentement d’autant plus fort que les Européens verraient les populations des pays émergents continuer leur développement basé sur l’usage massif des énergies fossiles. Aussi, laisser les Européens choisir leur mode de vie, tout en faisant en sorte que les producteurs qui alimentent ce mode de vie trouvent de meilleures solutions, vendables au monde entier, est une alternative infiniment préférable à une société de l’éco-interdit généralisé.

Concluons par une question d’ordre géopolitique : de la Chine à la Russie en passant par les régimes islamistes, l’Occident voit se renforcer des ennemis aux gouvernements autoritaires, qui détestent l’attractivité que notre modèle exerce encore sur leurs populations et qui multiplient les menaces de confrontations, comme ce fut le cas lors de la guerre froide. À cette occasion, l’Occident a vaincu le communisme, économiquement insoutenable, parce que le réalisme économique était de son côté. S’il bascule vers des modèles économiquement destructeurs alors que les régimes autoritaires prospèrent grâce à un réalisme économique de bon aloi, alors l’avenir des démocraties occidentales s’annonce particulièrement sombre.


[1]    Richard Tol, 2023. “The social cost of carbon has increased over time,” https://bit.ly/3Xs4Xpn 

[2]    IPCC, 2021. AR6, Working Group 1, Summary for Policymakers, p. 28 https://bit.ly/3AOAYyY

[3]    Going Climate Neutral by 2050, EU, 2019. https://bit.ly/3MvLygY

[4]    Vaclav Smil, 2024. Halfway between Kyoto and 2050: Zero Carbon 2050 Is a Highly Unlikely Outcome, Fraser Institute, 2024. https://bit.ly/3X9iuRh

[5]    Simon Michaux 2021. “Assessment of the Extra Capacity Required of Alternative Energy Electrical Power Systems to Completely Replace Fossil Fuels,” Geological Survey of Finland. https://bit.ly/3XqA8RT

[6]    Energeek, 2024, « Neutralité carbone : l’UE va passer à la vitesse supérieure, » https://bit.ly/4cPpJn9

[7]    Bérénice Levet, 2023. « Le totalitarisme vert, une réelle menace », Constructif, Vol.1, 64 https://rebrand.ly/ffi1rkj

[8]    M. Shellenberger, 2020.  “The case against environmental alarmism,” Environmental Progress, https://rebrand.ly/xmngisu.

[9]    France 3, 2023. « Climato scepticisme : un député de Haute-Vienne à l’origine d’une proposition de loi visant à encadrer les médias sur les enjeux climatiques » https://rebrand.ly/v39nq1w.

[10]   Vincent Bénard, 2024. « Climat : faut-il sacrifier nos vaches ? », IREF https://rebrand.ly/82hwqdq.

[11]   Jean-Baptiste Le Roux, 2024. « Climat: 7.5 Milliards d’amendes pour les constructeurs automobile d’ici 2025 », Economie Matin, https://rebrand.ly/x0bsjt0.

[12]   Vincent Bénard, 2024. « Environnement, nouvelles contraintes réglementaires pour les entreprises européennes », IREF https://rebrand.ly/1choqey.

[13]   Banque de France, 2024. « Communiqué de Presse : La BCE intensifie ses efforts sur le climat en mettant l’accent sur la transition écologique et les risques liés au climat et à la nature » 30 janvier. https://rebrand.ly/3x6aain.

[14]   Vincent Bénard, 2022.« Politiques climatiques de l’UE, un examen critique » , IREF. https://rebrand.ly/e88kqm4.

[15]   Vincent Bénard, 2024. « Charbon, l’Asie et la Chine appuient sur l’accélérateur », IREF, 8 mars. https://rebrand.ly/4mjihar.

[16]   Global Coal Plant Tracker, Global Energy Monitor, 2024. https://rebrand.ly/yzaulai.    

[17]   Projected cost of generating electricity, IEA, 2020 https://rebrand.ly/usl2p6z. 

About Author

Vincent Bénard

Vincent Bénard est ingénieur en aménagement du territoire et économiste. Il est l’auteur du rapport « Les politiques climatiques ‘Zéro Émissions Nettes’ de l'Union Européenne: un examen critique » publié par l'IREF en 2022. https://bit.ly/4aAFoWI

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