Il est un point, probablement le seul, sur lequel tous les candidats s’accorderont : notre démocratie a besoin d’être réformée (rénovée, repensée, etc.) car « les choses pourraient aller mieux » et d’ailleurs, « si vous me faisiez l’honneur de m’élire alors… ». Oui, ce n’est pas l’ambition qui manque dans les propos des candidats ; et d’une certaine façon c’est là une bonne chose. Ce qui manque c’est l’analyse sur laquelle fonder ces ambitions.
Dans ce pays qui se targue d’avoir apporté « les Lumières » au monde moderne, d’avoir libéré l’usage de la raison pour penser un monde meilleur, est-il encore envisageable d’avoir un débat… raisonnable sur les choix de politiques qui vont impacter le futur de tous et de chacun ? Je fais partie de ceux qui sont tentés de répondre instantanément par la négative : les débats « politiques » — que je ne suis le plus souvent que de loin — me dépriment ; au journal télévisé le radiotrottoir a été substitué à la réflexion, on « balance » des chiffres dans tous les sens sans jamais les expliquer et l’on discute plus des « affaires » des candidats que de celles de notre démocratie.
Pourtant ! Dans notre démocratie comme dans toute démocratie, aucune réforme ne sera envisageable tant qu’un consensus suffisamment large ne se dégagera autour de la nécessité de quelques réformes, pas forcément nombreuses, mais radicales. C’est l’absence d’un tel consensus qui explique que rien n’a bougé dans ce pays depuis les réformes socialistes des années Mitterrand qui elles-mêmes s’inscrivaient dans la continuité des réformes d’après-guerre. Conséquence : le pays s’englue dans le statu quo, régresse, lentement mais sûrement, dans la plupart des comparatifs internationaux (PIB par habitant, libertés économiques, PISA, qualité des soins, finances publiques) ; ce qui n’empêche pas bien entendu nos ténors de la politique – à commencer par ceux qui sont au pouvoir – de crier « que nenni ! » et d’affirmer la tête haute – tel notre bon coq gaulois – que nous sommes bien toujours les meilleurs du monde (et pas qu’en football !).
Si nous nourrissons quelques ambitions pour notre futur nous n’avons donc pas le choix : il nous faut travailler à l’émergence d’un vrai débat et tâcher de dégager ce nécessaire consensus. La bonne nouvelle c’est que nombreuses sont les réformes qui, bien conçues, débouchent sur du gagnant-gagnant. Je pense par exemple aux réformes touchant au système de santé, aux retraites, à l’éducation… Les systèmes actuels ne font que des mécontents, du côté des élèves, des étudiants, des retraités et des patients, comme du côté des praticiens (médecins, infirmiers) des enseignants ou des cotisants.
Il sera par définition plus difficile de revenir sur des privilèges. Le mieux souvent consiste à les « racheter » : c’est douloureux à court terme pour ceux qui versent la « compensation », mais on pourra au moins repartir sur une situation assainie (nous pensons en particulier à des « professions réglementées »).
C’est sans doute sur les sujets moins « économiques » que le consensus sera a priori plus difficile à trouver. Nous le savons, le libéralisme est fondé sur la liberté, la responsabilité individuelle et le respect de la dignité des personnes, mais il est aussi construit fondamentalement à partir de l’idée de tolérance. Nous ne devons pas imposer aux autres notre façon de vivre, de penser, d’agir tant qu’ils respectent la nôtre et ne la mettent pas en péril. Nous devons accepter qu’ils aient une idée différente de la Vérité, que certains prient un autre Dieu ou soient incroyants, qu’ils consomment, se distraient, conçoivent l’éducation différemment de nous. En étant tolérant nous respectons la liberté de l’autre, sa dignité. Nous devenons aussi de la sorte tous égaux devant la loi humaine qui protège chacune et chacun de nous contre les agressions d’autrui.
Mais évidemment cette indispensable tolérance ne nous prive pas de penser que l’autre est dans l’erreur et d’œuvrer de toutes nos forces pour qu’éclate ce qui, nous en sommes convaincus, est la Vérité. C’est même, pour beaucoup, un devoir moral : pour le chrétien, le juif, le musulman tout comme pour l’apôtre de l’égalitarisme, du féminisme ou de l’écologisme « politique ». Il faut à tout prix défendre « la cause ». Pour le libéral cela est d’autant plus vrai que l’idée même de tolérance, de dignité humaine et de liberté peut être directement menacée par la défense de certaines « causes » embrassées par une partie de nos concitoyens.
Il faut donc s’attendre dans une démocratie libérale à la tenue de débats passionnés, surtout dans un pays latin comme le nôtre, peuplé d’individus « au sang chaud ».
Le danger est évidemment que tout cela tourne au combat de coqs ! Adieu alors la recherche d’un consensus nécessaire à la réforme. Tout le monde se range en ordre de bataille, chacun se liguant avec celles et ceux qui partagent la même Vérité, les mêmes valeurs et les lances seront dressées contre les infidèles ! Il n’y a plus de débat car personne n’est là pour écouter l’autre. Les rêves d’un large consensus s’évaporent. Au lendemain de la bataille (électorale) tout le monde, ou presque, est perdant mais on se consolera en se disant que l’on s’est tout de même bien battu…
On le voit, même dans une démocratie libérale, délibérer ensemble, de façon raisonnable, sur les affaires qui concernent tous n’est pas chose aisée. C’est encore plus difficile dans nos démocraties « sociales » et «_redistributives », car le gagnant peut aisément spolier les perdants et les batailles n’en sont que plus âprement disputées.
Pour en sortir quelqu’un doit faire le premier pas et les libéraux, parce qu’ils portent cette tradition de tolérance, sont bien placés pour le faire.
Une fois les esprits disposés à un vrai débat, celui-ci pourra enfin avoir lieu. Et s’il est sans doute illusoire de rechercher l’unanimité sur tous les sujets, ce consensus large sur quelques réformes essentielles dont nous parlions plus haut aurait au moins ses chances.
C’est dans cette perspective que nous revenons à travers les différentes rubriques de ce quinzième numéro sur quelques-uns des dossiers (fiscalité, décentralisation, dépenses publiques, écologie, Europe, inflation…) qui devraient être objets de débats au cours des élections à venir.
Cet effort n’est pas nouveau : au-delà de ce numéro, c’est le Journal des libertés tout entier qui a été conçu à cet effet : développer et présenter l’argumentation libérale pour les partager dans un débat vrai et apaisé. Vous trouverez d’ailleurs ci-dessous, classés par thèmes, un large échantillon des contributions publiées ces quatre dernières années. De quoi nourrir, nous l’espérons, un débat prometteur.
Plus que jamais je vous souhaite donc une bonne lecture et vous donne rendez-vous à l’année prochaine !
Table des matières thématique du Journal des libertés du n°1 au n°14
Constitution
- La constitution : moyen efficace de limiter l’Etat ? de J. Ph. Feldman (n°1)
- Force et faiblesse de la démocratie directe : les leçons de l’expérience suisse de P. Bessard (n°4)
- Constitution, état d’exception et état d’urgence sanitaire, de J. Ph. Feldman (n°9)
Droit social/travail
- Libre propos sur la réforme du droit du travail de A. Bugada (n°1)
- Les gilets jaunes défendent leur droit, mais lequel ? de P. Garello (n°3)
- La saga des salariés détachés dans l’Union européenne de V. Renaux-Personnic (n°4)
- Liberté pour les travailleurs détachés de P. Salin (n°4)
- Théorie et pratique de la redistribution : une critique de Rawls et Piketty de H. Gissurarson (n°6)
- Corps intermédiaires et cohérence sociale de P. Coulange (n°8)
Dépenses publiques
- Biens publics, services publics, dépenses publiques de J. Garello (n°5)
- De la nécessité d’introduire l’esprit d’entreprise dans les secteurs aujourd’hui publics de P. Garello (n°6)
- Une critique de l’Etat entrepreneur de Mazzucato de A. Mingardi (n°12)
- Une critique « autrichienne » du concept keynésien de demande globale de P. Salin(n°10)
- Demande globale : ce que dit le keynésianisme extrême de J. Garello (n°10)
- Le coût réel de la dette publique de F. Facchini (n°9)
- Quoi qu’il en coûte – Réflexions sur le financement des crises de P. Garello (n°13)
- La dynamique des dépenses publiques et l’exception française de J. Ph. Feldman (n°13)
- L’exception française : une idée reçue ? de F. Facchini (n°13)
- L’éthique de la répudiation de la dette publique de F. Facchini (n°14)
Droits fondamentaux/valeurs/éthique
- Le droit de propriété, de J.-F. Mattéi (n°1)
- Libéralisme et évolution culturelle de A. M. Petroni (n°2)
- Libéralisme, économie et morale de J. Ph. Feldman (n°2)
- Liberté de l’individu et liberté du sujet de C. Delsol (n°3)
- Libéral ou libertaire, de P. Nemo (n°4)
- Vrai et faux libéralisme de A. Laurent (n°5)
- Lois bioéthique : quelles libertés et quels enjeux éthiques ? de P. Coulange (n°11)
- Le mythe de la justice sociale de P. Salin (n°12)
- Liberté chrétienne et culture européenne de P. Nemo (n°14)
Éducation
- Éducation : l’heure de vérité de Philippe Jamet de J. Ph. Delsol (n°3)
- Faut-il casser le monopole des universités publiques de J. Ph. Delsol (n°11)
- Il faut cultiver l’art de réformer : le cas des universités, de P. Garello (n°11)
- Tous les jeunes français à l’école primaire jusqu’à 17 ans ? de P. Nemo (n°12)
- Un secret de fabrication de « la fabrique du crétin » : la séquence de P. Nemo (n°13)
- Une jeunesse insoumise : le poids de l’éducation de J. Garello (n°13)
- Les expériences de libre choix de l’école de L. Debroas (n°13)
Entreprise et marché
- Actionnaires et profits devant la théorie économique de J. Garello (n°1)
- La réforme de la SNCF : beaucoup de bruit pour rien, de R. Ktorza (n°4)
- La responsabilité sociale de l’entreprise : une nouvelle doxa toxique ? de S. Schweitzer (n°6)
- La convergence avec l’Allemagne, une exigence pour redresser la France de A. Mathieu (n°6)
- La nature de l’entreprise de P. Salin (n°6)
- Responsabilité sociale de l’entreprise – Retour sur un mirage conceptuel de E. Queinnec (n°11)
- Une autre mondialisation ? de J. Garello (n°9)
- Les désaccords éthiques dans l’entreprise – Note de lecture par F. Facchini (n°9)
- Steven Horwitz : cinq essais sur l’économie de marché de E. Martin (n°14)
Environnement
- L’environnement n’a pas de droits de J. Ph. Delsol (n°2)
- Environnement : le temps de l’entrepreneur de M. Falque et J. P. Chamoux (n°3)
- Réguler l’écologie au moyen de la liberté : Bref plaidoyer en faveur de l’écolibéralisme de E. Queinnec (n°5)
- Quand l’écologie devient tyrannique de J. Ph. Delsol (n°10)
- Greta Thunberg et l’écologie liberticide de J. Ph. Feldman (n°10)
- Esquisse d’une économie politique du changement climatique de J. G. Hülsmann (n°11)
- Protéger la biodiversité de F. Facchini (n°11)
- Gérer les déchets de F. Facchini (n°13)
Europe
- Pour une Europe diversifiée mais unie sur les principes de P. Salin (n°1)
- Le Groupe constitutionnel européen : comment contraindre le pouvoir du gouvernement au niveau européen de R. Vaubel (n°4)
- Quelle est « notre » Europe ? de J. Ph. Delsol (n°4)
- L’Europe des non choix de J. Garello (n°4)
- Réflexions sur de nouvelles institutions européennes, de J. Ph. Feldman (n°5)
- L’impasse de la fédéralisation de l’Union européenne de G. Kerr et C. O’Driscoll (n°6)
- 750Mds d’euros pour Next Generation EU ! Qu’est-ce qui a fait plier les réticents ? de A. Fink (n°11)
- La subsidiarité : Référence formelle ou principe fondateur de M. Kerber (n°4)
- Vers une dictature souveraine de la Commission européenne ? de M. Kerber (n°13)
Fédéralisme/sécession/décentralisation
- Dossier sur la sécession de J. Ph. Feldman (n°1)
- Catalogne : considérations sur une crise qui nous concerne de Carlo Lottieri (n°1)
- Le déclin des États-Nations par fragmentation et sécession de B. Lemennicier (n°2)
- Le prétendu ‘intérêt général’ fondement d’une métropole illibérale de G. Bramoullé (n°3)
- Démocratie et/ou subsidiarité de J. Ph. Feldman (n°8)
Fiscalité
- Succès de la réduction de l’impôt sur les sociétés au Canada : une leçon pour la France de M. Bédard et K. Brookes (n°3)
- L’illusion fiscale : une réalité et une menace de P. Dray (n°11)
- Dépenses publiques et fiscalité de P. Salin (n°9)
Immigration
- L’immigration ou la tragédie de Madame Merkel de G-F. Dumont (n°4)
- Plus d’immigration ne veut pas dire moins de liberté économique de B. Powell (n°4)
International
- La crise biélorusse et ses conséquences de K. Stanchev (n°11)
- La parole enchaînée de Joshua Wong – Note de lecture par N. Lecaussin (n°9)
Justice
- Les mesures d’indépendance de la justice de F. Facchini, (n°10)
- Plus de croissance économique grâce à une justice indépendante de S. Voigt, L. Feld, J. Gutmann (n°10)
- Sans juge il n’y a plus de droit de J. Gavaudan (n°10)
Monnaie/banque centrale/inflation
- Où est passé l’argent créé par les banques centrales ? de H. Lepage (n°1)
- Autres aspects des effets économiques des politiques des Banques Centrales de J. P. Centi (n°1)
- Le cas contre la cible des 2% d’inflation -Brendan Brown de P. Simonnot (n°2)
- Penser la prochaine crise économique avec Hyman Minski de S. Laye (n°2)
- La finance de marché, ressort de l’ordre monétaire mondial de H. Lepage (n°2)
- A bas le privilège des ‘Too big to fail’ de H. Lepage (n°3)
- LIBRA, Bitcoin : vers le pluralisme monétaire ? de N. Janson (n°7)
- La théorie monétaire moderne : avenir de la monnaie ? de E. Martin (n°9)
- Renforcer l’architecture de la zone euro : un vœu pieux de J. P. Centi (n°9)
- Inflation : la grosse farce des QE de H. Lepage (n°10)
- Pourquoi l’inflation reste faible alors que la masse monétaire augmente de F. Facchini (n°10)
Nouvelles technologies et liberté
- Un système de co-gouvernance pour un monde digital qui inspire de nouveau la confiance de F. Chehadé (n°4)
- Le monde doit-il être « ubérisé » ? de P. Salin (n°11)
- La fin de l’individu : voyage d’un philosophe au pays de l’intelligence artificielle – Note de lecture de J. P. Chamoux (n°10)
Religions
- L’islam libéral : concept, contextes et limites de A. Belhaj (n°12)
- Accueillir la parole des dissidents de l’islam de A. Laurent (n°12)
- Islam, chrétiens d’Orient et citoyenneté de A. Fleyfel (n°12)
- Islam et institutions de la liberté de F. Facchini (n°12)
- L’actualité de la pensée économique de Ibn Khaldûn de J. Ph. Delsol (n°12)
- Fratelli Tutti – Notes de lecture de J. Y. Naudet (n°11)
- Monseigneur Freppel, un évêque engagé dans la bataille économique et sociale de J.Y. Naudet (n°2)
- Catholique et libéral : un déni ou un défi ? de P. Garello (n°2)
Retraites
- Dossier retraite (n°7)
- L’épargne pour une vraie réforme des retraites de L. Pahpy (n°3)
- Éloge de la capitalisation de J. Garello (n°3)
- Pour un système de retraite qui marche, de J. Piñera (n°3)
- Retraites : les réformes pour la forme de J. Garello (n°6)
- Mixer répartition et capitalisation : ça marche ! L’expérience des pharmaciens de M. Durand (n°7)
- Rapport Delevoye : présentation critique de J. Ph. Delsol (n°7)
Santé
- Si la santé est précieuse, confions sa gestion au marché de P. Bentata (n°9)
- Comment préserver les libertés du coronavirus de J. Ph. Delsol (n°9)
- Propriété des vaccins : brevet ou concurrence de J. Garello (n°13)
- Les vaccins COVID, entre réalités épidémiologiques et fantasmes de Moi-Soleil de D. Godefridi (n°14)